Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/888

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien que dans les sciences, ne sont jamais l’œuvre particulière d’un seul génie qui en aurait puisé tous les élémens dans la source de ses propres facultés. Il n’y a que Dieu, parce qu’il est infini, qui ait pu créer le monde d’un désir de sa volonté. Il est vrai de dire cependant qu’une invention ne s’inscrit et ne prend date dans l’histoire que lorsqu’il vient un homme qui s’en assimile les effets d’une manière originale qui frappe tous les esprits. C’est ainsi que la couleur à l’huile, par exemple, avait été employée bien avant le Flamand Van Eyck, qui est pourtant celui qui l’a propagée en Europe. Parmi les intervalles qui étaient repoussés par tous les théoriciens du moyen âge comme incompatibles avec la série diatonique du plain-chant grégorien, il y avait surtout celui de triton. Cet intervalle horrible, qu’on appelait diabolus in musicâ, consiste dans le rapprochement de deux notes importantes de la gamme, le quatrième et le septième degrés. Par une cause plus physique que morale, qui n’a pas encore été expliquée, il résulte que l’audition simultanée de ces deux sons communique à l’oreille une vive appétence vers la consonnance d’octave. Or cet intervalle harmonique se trouve enclavé dans un accord qui porte le nom de septième dominante, où il forme la dissonance naturelle de quinte mineure, qui peut s’entendre sans préparation, et qui se résout immédiatement sur l’accord de sixte, qui renferme les élémens de l’accord parfait. L’effet de cet accord de septième dominante est tel, qu’il porte avec lui, comme une question bien posée, les conditions logiques de sa propre résolution, et qu’il transmet à l’oreille, puis par l’oreille à notre âme, le sentiment de la série qui constitue l’unité de l’octave. Si vous contemplez pendant quelque temps une couleur éclatante, — le rouge par exemple, — vous ne tardez pas à éprouver le désir de reposer votre vue sur une nuance moins vive, telle que la couleur complémentaire que le rouge fait pressentir par l’auréole qu’il projette autour de lui. Cette couleur complémentaire que le rouge projette est le vert, dont la sensation peut être comparée à celle que produit l’accord parfait, sur lequel l’oreille aspire à descendre après avoir entendu celui de septième dominante. Tous les arts renferment de pareils contrastes de repos et de mouvement, de consonnances et de dissonances qui s’appellent et se répondent comme les rimes diverses de la poésie lyrique, dont l’entrelacement avive et charme l’oreille. L’accord de septième dominante, qui renferme la plus agréable des dissonances naturelles que l’oreille puisse accepter sans avertissement ou préparation, en lui faisant pressentir le voisinage de l’accord parfait qui lui donne le sentiment de l’unité de l’octave, avait été employé par un grand nombre de compositeurs du XVIe siècle, car on le trouve dans les œuvres d’Aaron, de Cyprien de Rore, dans Palestrina même, Orlando di Lasso, Gabrieli, surtout dans Gesualdo, dont les madrigaux sont empreints d’une vivacité d’expression