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comme deux personnages symboliques. Dans ses motets religieux, connus sous le nom de symphoniœ sacrœ, une espèce d’introduction symphonique précède le chœur, auquel les instrumens répondent ensuite, et qu’ils accompagnent enfin avec une assez grande variété d’allures. Gabrieli a beaucoup écrit, et dans presque tous les genres de musique connus de son temps. Ses œuvres, exécutées avec pompe par les chanteurs et les instrumentistes habiles qui étaient au service de la chapelle ducale et des principales églises de Venise, mises en circulation par la gravure, qui en multiplia les éditions, répandirent son nom dans toute l’Europe, et particulièrement en Allemagne, où il trouva des disciples et de nombreux admirateurs. Contemporain d’Orlando di Lasso et de Palestrina, auxquels il a survécu de seize années, Gabrieli occupe une place éminente, dans l’histoire générale de l’art, entre le dernier, le plus illustre des contre-pointistes flamands et le fondateur de l’école romaine. S’il ne possède pas la sérénité, l’onction et la pureté sublime qui caractérisent le style à jamais inimitable de Pierre Luigi, Gabrieli est plus hardi dans ses combinaisons harmoniques, plus éclatant et moins respectueux de la tradition que le doux et immortel musicien qui a fait les délices de son siècle et mérité cet éloge :

Hic ille est Lassus lassum qui recreat orbem,
Discordemque suâ copulat harmoniâ.

Placé entre l’Allemagne, où est mort à la cour de Bavière Orlando di Lasso, et le siège de la papauté, qui fut l’asile du pauvre et divin Palestrina, Gabrieli, noble Vénitien, vivant au milieu d’une cité merveilleuse où aboutissaient tous les courans de l’opinion du monde, qui était toujours remplie de bruits, de fêtes et de spectacles de toute nature, s’inspira nécessairement du génie de son pays et des traditions de l’école qui en était l’expression. Ce fut un hardi novateur, prompt à employer tout moyen qui lui semblait devoir produire de l’effet, visant à l’éclat, au coloris, aux contrastes dramatiques, aussi bien dans la musique religieuse que dans les madrigaux et les chansons mondaines. Dans ses grandes compositions à deux, trois et quatre chœurs, accompagnés d’une instrumentation déjà ingénieuse, Gabrieli, marchant sur les traces de Willaert, de Cyprien de Rore, de Merulo, et surtout de son oncle Andréa Gabrieli, se préoccupe bien moins des lois qui gouvernent la langue musicale de son temps que de l’esprit des paroles, dont il s’efforce de rendre le sens général, cherchant parfois aussi à peindre le mot saillant par des figures de rhythme et des caprices de vocalisation. C’est là un fait important dans l’art de la composition, qui annonce une prochaine et plus grande émancipation du génie créateur. Organiste habile, homme d’une imagination hardie et grandiose dans ses conceptions, Gabrieli