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de sa gloire immortelle. En effet, on chercherait vainement chez ces musiciens studieux autre chose que des formes abstraites de la syntaxe des sons, des combinaisons de voix, des imitations plus ou moins ingénieuses. Les paroles liturgiques ou profanes qu’ils choisissent pour écrire leurs morceaux ne sont qu’un prétexte à argumentations ; le thème de leurs messes on motets, qu’ils empruntent au plain-chaht ecclésiastique et plus souvent encore aux chansons populaires, n’est qu’une espèce de prémisse sur laquelle ils construisent le savant édifice de leurs contrepoints plus ou moins fleuris. En un mot, les musiciens flamands, qui pendant un siècle et demi fixent l’attention générale de l’Europe, ces barbares qui envahissent une seconde fois l’Italie, où ils fondent des écoles et sont l’objet de l’admiration des plus nobles esprits, remplissent, dans l’histoire de la musique européenne, cette période curieuse qu’on appelle le règne de la scolastique. Dialecticiens habiles, moins occupés du fond des idées que de l’ingéniosité de la forme, distraits, captivés par les combinaisons d’une langue nouvelle, dont ils admirent surtout les artifices, les contrepointistes belges, a dit Forkel avec esprit, « ressemblent à des jeunes gens sortant de l’université, où ils auraient montré de l’aptitude pour les discussions logiques, qui s’empressent d’étaler leur science de fraîche date, et ne peuvent avancer la moindre proposition sans la soumettre aux épreuves d’une argumentation en règles[1]. » Cette comparaison, faite par un Allemand et puisée dans les mœurs de sa nation, est d’autant plus juste qu’il l’applique à des compositeurs qui ont à peu près la même origine et se distinguent par les mêmes qualités, car les contre-pointistes flamands ont précisément développé dans l’art musical cette faculté des combinaisons harmoniques qui est encore aujourd’hui le trait distinctif de la grande école d’où est sorti Sébastien Bach. Comme les docteurs scolastiques, qui avaient moins d’invention et de hardiesse dans l’esprit que d’habileté à discuter sur des vérités dogmatiques dont ils acceptaient l’autorité, et qui, dans l’histoire de la philosophie, préparent la voie aux libres penseurs du XVIe siècle, les contre-pointistes belges et flamands ne se préoccupaient guère que des procédés matériels de la composition, et ils prenaient naïvement dans la tradition, c’est-à-dire dans le plain-chant ecclésiastique et dans les chansons populaires, l’idée mélodique qui servait de thème à leurs déductions canoniques. Les arts et les littératures de tous les peuples n’ont-ils pas traversé une période semblable de labeur pédantesque, où le sentiment et l’idée sont nécessairement subordonnés aux artifices de la forme, qui captive alors tous les esprits cultivés ? Je n’ai pas besoin de vous apprendre, monsieur le comte, dit l’abbé en

  1. ) Forkel, Histoire générale de la Musique, t. II, p. 69.