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respectant les portraits de Jean Racine venus jusqu’à nous, David paraît avoir songé en même temps au buste de Virgile qui se voit au musée du Capitole. En combinant ces deux natures, il a fait un ouvrage digne des meilleurs temps de la statuaire. La tête, modelée avec finesse, s’accorde très bien avec le caractère et le génie du poète. Élégance, douceur, méditation, tout se trouve réuni dans le masque de cette figure. Lorsque David conçut la statue de Jean Racine, il n’avait pas encore rompu d’une manière définitive avec les traditions de l’antiquité, et l’on sent, en contemplant cet ouvrage, qu’il tient compte de l’idéal, et ne veut pas le sacrifier à l’expression littérale de la réalité. Ceux qui mettent au-dessus de tout la vérité historique reprocheront à cette figure l’infidélité du costume, et le principe une fois admis, je serais obligé de leur donner raison; mais, sans contester l’importance de l’exactitude historique, je crois pouvoir placer le choix du costume après le choix des lignes et l’expression poétique. Aussi la statue de Racine me paraît-elle mériter les plus grands éloges, car elle est belle dans l’acception la plus élevée du mot, et si elle manque de vérité dans le sens historique, elle est vraie dans le sens philosophique. Elle représente avec une fidélité merveilleuse la nature des pensées dont le poète s’est nourri pendant toute sa vie. Il y a dans le visage plus de méditation que d’ardeur, et les œuvres du poète sont là pour attester que le statuaire ne s’est pas trompé. Devant cette vérité supérieure, toutes les objections de détail signifient peu de chose. L’image de Racine, telle que David l’a conçue, s’adresse à l’intelligence en même temps qu’aux yeux, et dans les arts du dessin ce sera toujours un signe de puissance. Les statuaires qui ne parlent qu’aux yeux, qui sacrifient aux détails de l’érudition la représentation de l’idée, n’occupent jamais dans l’histoire le même rang que les statuaires épris de la beauté intellectuelle et résolus à l’exprimer. Or, bien que David ait souvent négligé, souvent méconnu l’idéal, on peut affirmer qu’il en a tenu compte dans l’image de Racine. Il s’est pénétré de son génie, et s’est attaché à traduire l’impression qu’il avait reçue. L’accomplissement d’une pareille tâche n’est pas chose facile, et, lorsqu’elle est menée à bonne fin, l’auteur a droit aux suffrages de tous les gens de goût.

La statue de Pierre Corneille, placée à Rouen, est loin, à mon avis, de mériter les mêmes éloges que la statue de Racine, bien qu’elle se recommande par une habileté singulière. La tête et les mains sont modelées de manière à prouver que l’auteur connaît tous les secrets du métier; mais l’attitude de la figure manque de simplicité. Le poète est représenté, non pas méditant, mais composant, ce qui