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le père Sabbatini. Si j’ai bien compris le sens de vos savans prolégomènes, les Grecs n’auraient pas connu l’harmonie, puisque la science des accords n’est possible qu’avec le concours de notre gamme diatonique, qui n’existait pas encore ?

Maestro, répondit l’abbé Zamaria avec autorité, la question que vous me faites l’honneur de m’adresser est si bien posée, qu’elle porte avec elle sa propre solution. Que les Grecs aient connu et goûté quelques-uns des effets produits par la simultanéité des sons ; tels que l’octave, l’unisson, la quarte, la quinte, et même l’accord parfait, cela est incontestable, puisque ces élémens de l’harmonie sont dans la nature et résultent de la résonnance du corps sonore ; mais il est tout aussi certain qu’ils ne pouvaient posséder ce que vous appelez si justement la science des accords, enchaînement de notes simultanées, mélange de consonnances et de dissonnances qui se préparent et se résolvent les unes par les autres et qui supposent l’existence d’une échelle mélodique moins variable que les différens modes qui composaient le système musical des Grecs. Du reste nous n’avons pas besoin de les supposer plus savans qu’ils n’étaient pour croire aux merveilleux effets qu’on attribue à leur mélopée. Une mélodie large formée seulement de quelques notes qui ne dépassaient guère l’étendue d’une quinte, mariée à l’une des plus belles langues qu’aient parlée les hommes et pénétrée par ses rhythmes nombreux et délicats d’une grande variété d’accens ; quelques effets puissans d’unisson et d’octave, que doublaient et soutenaient des instrumens comme la lyre, la cythare et les flûtes de différentes espèces ; la variété des modes s’alliant à la variété des dialectes, l’élévation des sentimens exprimés par la poésie, la pompe du spectacle, l’idée religieuse ou patriotique qui excitait l’imagination d’un peuple si merveilleusement doué, tout cela suffit pour nous expliquer l’impression profonde que devait produire la musique au siècle de Phidias, de Praxitèle et de Zeuxis, de Platon et de Sophocle. Éviter les extrêmes et se tenir en toutes choses dans un milieu tempéré, telle était pour les Grecs la mesure du juste et du beau, qu’ils appliquaient également à la musique.

Les Romains, qui ont emprunté aux Grecs presque tous les élémens de leur civilisation, et dont la poésie, la sculpture et la peinture n’ont été qu’une imitation, un pâle reflet du génie hellénique, n’ont pas eu non plus d’autre système musical que celui de leurs prédécesseurs, qu’ils ont transmis à leur tour, sans aucune altération, au christianisme triomphant. Si la raison et l’histoire ne nous apprenaient que, dans le monde moral comme dans le monde physique, la vie se compose d’une succession de phénomènes qui se modifient incessamment sans jamais interrompre le travail de gestation, des témoignages irrécusables nous prouveraient que les disciples de