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qui lui légua aussi ses manuscrits en 1468, Venise, au milieu d’une ligue périlleuse, celle de Cambrai, qui faillit compromettre son existence politique, se fit une large place au soleil de la renaissance et y développa les propriétés de son génie. Tous ces palais magnifiques qui ornent les deux rives du Grand-Canal s’élevèrent alors par enchantement sous la main de ses grands architectes, Palladio, Sanmicheli, Scamozzi, Antonio Daponte, fra Giocondo, et furent ornés de chefs-d’œuvre par les Bellin, qui donnent la main à l’école byzantine, par Giorgione, Titien, Tintoretto, Paul Véronèse, coloristes incomparables, peintres de la grâce, de la vie fastueuse et sans douleurs. Glorifiée, transfigurée par ses artistes, ses poètes, ses philosophes et ses grands hommes d’état, Venise renaît plus charmante et plus belle, et devient un séjour de délices, une merveille de l’histoire, quelque chose qui ressemble à un conte de fée réalisé sur la terre par un peuple qui eut le sens politique des Romains, le goût et l’atticisme qui distinguaient les Grecs.

Écoutons maintenant l’abbé Zamaria, pour savoir quel rôle a joué l’art musical dans la civilisation de Venise et le grand mouvement de la renaissance.


II

Signori, dit-il du haut d’une estrade qu’on avait dressée dans la bibliothèque du palais Zeno, et devant une assemblée où se trouvait tout ce que Venise renfermait alors de personnes illustres et distinguées, savez-vous quel est l’inventeur de la musique ? C’est le créateur du ciel et de la terre, celui qui dit à la mer : Nec plus ultra ! qui fit l’homme à son image, et lui imposa la nécessité de vivre au milieu de certains élémens dont le premier de tous est l’air qu’il respire. Cet agent indispensable de la vie est aussi la source de la sonorité, qu’il produit par ses vibrations infinies, comme la lumière qui nous éclaire est l’agent de la couleur. L’acoustique et l’optique sont deux sciences qui ont pour objet l’étude des phénomènes de l’audition et de la vision, unis entre eux par de si nombreuses analogies.

Dans l’échelle immense des bruits qui remplissent la nature, depuis le murmure des ruisseaux jusqu’à l’éclat de la foudre, l’oreille ne distingue qu’un certain nombre de sons ayant le caractère musical. Un son possède le caractère musical lorsque l’oreille peut en apprécier l’intensité et le classer dans une série où il soit facile de le reconnaître et de ne pas le confondre avec un autre son qui le pré cède ou le suit. Les savans se sont amusés à soumettre au calcul ces appréciations instinctives de notre organe, et ils ont pu fixer les deux limites extrêmes de l’échelle musicale, le son le plus grave et le plus aigu