Les femmes, qui sont toujours la manifestation la plus vraie de la sociabilité d’une époque, secouèrent les cendres de la pénitence, brisèrent l’enveloppe austère dont les avait entourées l’ascétisme du moyen âge, et, sortant de leurs alvéoles monastiques, elles se mirent à voleter sur la terre fleurie, à cultiver les arts, les lettres et même les sciences les plus abstraites, comme pour donner un témoignage irrécusable de leurs aptitudes diverses et de leur droit à l’émancipation[1]. Il n’est pas jusqu’aux courtisanes qui n’aient reçu le pardon de l’église pour avoir mêlé aux philtres de la séduction l’amour de la poésie[2]. Dans une édition de canzoni à ballo, publiée à Florence en 1568, on voyait une gravure en bois qui représentait douze femmes dansant et chantant devant le palais des Médicis. On ne saurait mieux peindre cette résurrection à la vie séculière qui caractérise la renaissance, et qui faisait dire à un contemporain, l’Allemand Ulrich de Hütten, ébloui d’un tel spectacle : « O siècle ! les études fleurissent, les esprits se réveillent ; c’est une joie que de vivre ! »
Oui, ce devait être une joie que de vivre au milieu de cette foule de grands hommes qui remplissaient l’Italie des miracles de leur génie, d’être le contemporain de Léonard de Vinci, de Raphaël, de Michel-Ange, du Corrège, de l’Arioste, du Tasse, de Machiavel, de Laurent de Médicis, de Léon X, de voir s’élever Santa-Maria dei Fiori à Florence, Saint-Pierre à Rome, d’admirer pour la première fois la Transfiguration, le Jugement dernier, le Moïse, la Cène de Léonard, l’Orlando innamorato, la Jérusalem délivrée, et toutes ces merveilles d’une civilisation, où le goût et les formes plastiques de l’antiquité s’allient au spiritualisme chrétien. Dans ce concert magnifique de la vie nouvelle, pendant que les architectes, les peintres, les sculpteurs et les poètes s’inspiraient à la fois des monumens du passé, dont ils imitaient les beautés éternelles, et de l’étude de la nature, les philosophes, tels que Telesio, Giordano Bruno, Campanella, rompaient avec l’autorité, imaginaient des cités idéales, des utopies divines, et préparaient l’avènement des Kepler, des Newton, des Galilée, de Bacon et de Descartes, ces maîtres de la science positive qui gouverne aujourd’hui le monde.
Arrivée plus tard que les autres puissances de l’Italie sur ce champ de bataille de la civilisation nouvelle, Venise, qui avait été bénie par Pétrarque et consacrée reine de l’esprit par le cardinal Bessarion,
- ↑ Un nombre considérable de femmes distinguées ont cultivé en Italie la littérature vulgaire grecque et latine, et les mathématiques pendant les XVe et XVIe siècles.
- ↑ La plus célèbre de ces meretrici fut la belle Imperia, qui a été célébrée par Beroalde et Sadolet jeune, et qui reçut des leçons de poésie de Nicolas Campano. Sa table de toilette était toujours couverte de livres savans. Elle a été inhumée dans l’église Saint-Grégoire à Rome, et sur son tombeau on grava cette inscription : Imperia, cortisana Romana, quæ, digna tanto nomme, raræ inter homines formæ spécimen dédit Vixit anno XXVI. Dies XII, oblit 1511, die 15 augusti.