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et ordonna de le fortifier, attendu que si les Russes parvenaient à s’en rendre maîtres, ils pourraient faire beaucoup de mal à la place. La construction de cette batterie fut exécutée par des Égyptiens, d’où elle prit le nom d’Arab-Tabia. Ce fut cette batterie qui devint dans la suite l’objet des vives attaques des Russes. Arab-Tabia fut construit sur le prolongement d’une colline à la droite de Silistrie ; ce terrain très étroit ne permettant pas d’élever une redoute régulière, on fit des parapets en zigzag, qui se resserraient à mesure que l’on arrivait à l’extrémité de la colline, et qui furent armés de six canons. Un détachement de cent Égyptiens gardait cette position.

Le prince Gortchakof fit passer le Danube à son armée sur un pont appuyé à deux îles, et dont les extrémités reliaient les îles aux deux rives du fleuve. Des batteries armées de pièces de siège furent élevées sur la rive gauche et sur l’une des îles : on les dirigea contre la ville de Silistrie. Dans les deux camps russes établis devant Silistrie et à Kalarache, le prince Gortchakof avait réuni cent vingt mille hommes, mais cette masse imposante manquait de direction. Le général en chef et le général Kotzebue, son chef d’état-major, étaient d’avis de faire un siège en règle, tandis que le général du génie Schilder et l’aide-de-camp général Lüders voulaient élever des batteries, foudroyer la ville par un bombardement vigoureux, puis donner l’assaut avec toutes les forces réunies. L’avis du général en chef l’emporta, et un siège en règle fut commencé, si l’on peut donner ce nom à une opération dans laquelle la place assiégée n’est pas investie. En effet la route de Silistrie à Turtukaï resta ouverte pendant presque tout le temps du siège, et ne fut interceptée que deux semaines avant la retraite des Russes. Il devint bientôt évident que le principal objet des Russes était de prendre Arab-Tabia. Les cheminemens se poursuivaient avec activité, mais la garnison, quoique forte de huit mille hommes seulement, déploya un courage qui semblait grandir avec les dangers. Moussa-Pacha, commandant de Silistrie, modèle de probité et d’énergie bien rare parmi les hauts fonctionnaires ottomans, eut le bon esprit d’écouter et de suivre les conseils du colonel Grach et de faire exécuter tous ses plans. Le capitaine du génie anglais Butler se rendit aussi très utile dans les derniers temps du siège. Les Russes avaient élevé sur les collines qui entouraient Arab-Tabia douze batteries qui foudroyaient sans relâche les ouvrages en terre de cette redoute. Le prince Paskiévitch, arrivé au camp russe au fort même des opérations du siège, ordonna l’assaut d’Arab-Tabia. Le colonel Grach avait recommandé aux artilleurs turcs de surveiller attentivement le travail des mines pratiquées par les Russes, et de tâcher de deviner dans quelle direction ces mines s’étendaient. Un jour, les artilleurs l’avertirent que les Russes travaillaient à l’extrémité gauche et sous la redoute même. Aussitôt