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de bon matin les Russes rangés en bataille devant le village. Après un combat d’une heure, l’infanterie russe plia ; Iskender-Bey fit une charge de cavalerie, pénétra dans le village et sabra les artilleurs jusque sur leurs pièces. L’artillerie russe, ayant perdu presque tous ses chevaux, laissa dix canons au pouvoir des Turcs. L’infanterie se rallia derrière le village, protégée par les tranchées et par la batterie établie sur la colline, et un nouveau combat très meurtrier s’engagea. Les Russes furent encore enfoncés et se retirèrent avec précipitation ; mais Ismaïl-Pacha, Mustafa-Pacha et Iskender-Bey furent blessés, et l’hésitation se mit dans les rangs des Turcs ; néanmoins ils se préparaient à poursuivre vivement les Russes, lorsqu’une colonne forte de deux régimens d’infanterie, sous les ordres du colonel russe Baumgartner, qui avait été lancée par les ordres de l’aide-de-camp général Anrep, prit les Turcs à revers et leur coupa la route de Kalafat. Les Turcs, voyant le danger qui les menaçait, abandonnent Tchetaté, se pressent en colonnes serrées et se précipitent avec une indomptable énergie sur l’ennemi, dont ils enfoncent les rangs à la bayonnette. Les Russes sont dispersés, et les Turcs regagnent Kalafat, emportant leurs morts et leurs blessés, ceux des Russes, et des milliers de fusils et de gibernes. Faute de chevaux, ils ne purent enlever les pièces russes, qu’ils enclouèrent. C’était la première fois que les Turcs se battaient à l’arme blanche contre les Russes et avec une vigueur qu’aiguillonnait la certitude d’une destruction totale, s’ils n’avaient pas réussi à passer au travers des rangs ennemis. Les Russes eurent dans cette journée près de cinq mille hommes hors de combat, et de ce jour-là ils se bornèrent à des démonstrations qui ne furent pas suivies d’attaques, bien que le prince Gortchakof eût annoncé publiquement à Bucharest qu’il avait ordre de prendre Kalafat coûte que coûte, et de jeter les Turcs dans le Danube.

En Bulgarie cependant, Omer-Pacha avait à lutter avec des difficultés intérieures plus redoutables peut-être que les attaques des Russes. Le ministre de la guerre Méhémet-Ali-Pacha excitait le fanatisme musulman. Des volontaires arrivaient par milliers du fond de l’Asie et des déserts de l’Arabie. Chaque jour, on pouvait voir ces hordes barbares, avec leurs coiffures étranges, armées de vieux tromblons ou d’énormes pistolets, la ceinture chargée de larges poignards, de yatagans d’une longueur démesurée, traverser les rues de Constantinople, défiler sous les yeux du ministre de la guerre, sur la vaste place du séraskiérat et se rendre aussitôt à l’armée d’Omer-Pacha. Sans solde, ne recevant qu’un pain par jour pour toute nourriture, n’obéissant qu’aux ordres du chef de leur tribu, ces volontaires infestaient toute la Bulgarie et étaient devenus la terreur des