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auxquels il dictait les instructions les plus minutieuses, qu’il adressait aux différens corps d’armée, aux régimens et même aux bataillons. Ces instructions concernaient les mouvemens, les approvisionnemens, l’habillement des troupes, l’établissement des hôpitaux et des magasins. Il faisait mouvoir ses troupes, posait aux divers régimens de continuels changemens de résidence, et se servait de ces manœuvres compliquées pour dérouter ses propres généraux et les espions russes qui infestaient la Bulgarie. En vain M. Mavros, inspecteur général des quarantaines en Moldo-Valachie, s’évertuait-il à dresser des états de situation des forces ottomanes : chaque semaine, il fallait donner des états entièrement contraires à ceux qui avaient précédé. Tantôt l’armée d’Omer-Pacha était réduite à trente mille hommes, tantôt le double même de ce chiffre était dépassé. M. Mavros remplaçait les données exactes qu’il ne pouvait obtenir par des conjectures ; il croyait montrer beaucoup de pénétration et éviter toute erreur en acceptant pour vraie l’évaluation la plus faible. Le prince Gortchakof fut donc toujours mal renseigné sur le chiffre des troupes ottomanes, et jusqu’au grand conseil de guerre tenu à Varna entre le maréchal Saint-Arnaud, lord Raglan et le serdar, ce chiffre resta inconnu, Omer-Pacha ayant poussé la méfiance au point de ne pas même envoyer au ministère de la guerre à Constantinople le tableau détaillé de son ordre de bataille, que lui avait demandé à plusieurs reprises le séraskier Méhémet-Ali-Pacha, le seul des dignitaires turcs pour qui il témoignât de l’amitié.

Pour s’assurer de l’exécution de ses ordres multipliés, le serdar employait seize aides-de-camp, presque tous officiers magyars ayant pris part à l’insurrection hongroise, et qui étaient entrés au service de la Turquie. Ces officiers montraient un grand zèle et un grand dévouement à la personne d’Omer-Pacha, et de plus une rare activité. Le seul homme qui pendant toute cette guerre ait joui de la confiance du généralissime ottoman et qui ait été chargé de l’ensemble des travaux de sa chancellerie a été le Polonais Wolski, connu sous le nom de colonel Rustem-Effendi, bien qu’il n’ait pas changé de religion.

Cependant la Porte avait déclaré la guerre à la Russie dans un grand conseil qui fut tenu le 27 septembre 1853, bien que la publication de son manifeste n’ait eu lieu que le 4 octobre suivant. D’après les ordres qu’il avait reçus de Constantinople, Omer-Pacha adressa le 8 octobre au prince Gortchakof une lettre pour le sommer d’évacuer les principautés dans un délai de quinze jours. En même temps il dirigea de douze à quinze mille hommes sur Routschouk et une force égale sur Widdin. Le général en chef russe fit une réponse négative, mais modérée, tandis que ses lieutenans lui prêtaient le