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séjour des Russes étaient à peine effacées, les moissons reparaissaient à peine dans les sillons dévastés, et déjà les lourds chariots de l’artillerie foulaient de nouveau les épis, les cavaliers cosaques ravageaient de nouveau les champs de maïs, sans pitié pour la doubleur des paysans roumains, qui pouvaient s’écrier comme leurs ancêtres :

Barbarus has segetes !

À cette époque, la Turquie était à la merci d’un coup de main des Russes : elle n’avait à leur opposer en Bulgarie que dix-huit ou vingt mille hommes de troupes régulières depuis Malchin jusqu’à Widdin. Les fortifications de Routschouk, de Silistrie, de Choumla et de Varna étaient dans un état déplorable, le divan ne les ayant pas fait réparer depuis 1828[1]. Déjà les émissaires russes, qui travaillaient la population bulgare depuis des années, affirmaient que les rayas n’attendaient que le passage du Danube par l’armée impériale pour se soulever contre l’oppression des Turcs.

Il n’y avait en Turquie qu’un seul général qui fût en état d’organiser et de concentrer en toute hâte une armée capable de lutter contre une excellente armée russe commandée par les généraux les plus expérimentés[2]. Ce fut à Omer-Pacha, dont l’Autriche venait d’arrêter le bras au moment où il espérait porter des coups décisifs au Monténégro, que la Porte confia la défense de son empire contre l’agression des Russes.

Le général ottoman se mit aussitôt à l’œuvre et fit marcher les troupes turques de tous les points de la Turquie d’Europe : de Constantinople, d’Andrinople, de Monastir, de la Bosnie et de l’Herzégovine. En attendant l’arrivée de ces troupes en Bulgarie, il se rendit immédiatement à Choumla et ordonna la construction de batteries pour la défense de Routschouk et de Silistrie. Un vaste camp retranché fut établi à Choumla même. Omer-Pacha était puissamment aidé dans ces travaux par les officiers prussiens qui depuis plusieurs

  1. Ce n’est qu’à Widdin que toutes les redoutes étaient garnies de canons. À Choumla, il n’y avait que quinze canons pour six redoutes ; à Routschouk, il y avait des arsenaux, mais ils ne contenaient que vingt canons. L’arsenal de Varna n’en contenait pas cinquante.
  2. Suivant l’expression même des feuilles de Saint-Pétersbourg, l’état-major du prince Gortchakof était en effet des plus brillans ; plusieurs des généraux les plus distingués de la Russie se trouvaient dans les principautés. Le prince Gortcbakof, appartenant à une des plus anciennes familles de l’empire, était le lieutenant préféré du prince Paskiévitch. Il avait sous ses ordres les généraux Lüders, Liprandi, connus par leur audace, l’attachement qu’ils inspiraient aux soldats et leur habileté à les entraîner ; Buturlin, Pavlof, surnommé le Brave, Dannenberg, d’une intrépidité calme et doué d’un grand sens politique ; les princes Ourousof et Vasilchikof, noms auxquels la guerre de Crimée a ajouté un nouveau lustre.