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les équipages de ponts, l’intendance pour les subsistances et l’administration des hôpitaux avaient reçu l’organisation la plus parfaite qu’on pût leur donner alors en Russie et à une grande distance de la capitale de l’empire, le gouvernement impérial ayant mis à profit les années 1851 et 1852 pour compléter le quatrième et le cinquième corps, qui composaient l’armée du prince Gortchakof. Il y avait dans cette armée des régimens qui s’étaient mis en marche de la Finlande dès le mois de février, et qui étaient épuisés de fatigue en arrivant à Jassy.

Le consul-général de Russie, revenu de Kichenef à Bucharest avant l’arrivée du prince Gortchakof, communiqua au prince Stirbey une dépêche du comte de Nesselrode dont il avait déjà donné connaissance à l’hospodar de Moldavie, et ajouta qu’il y trouverait les indications les plus précises « sur la conduite qu’il aurait à tenir à l’égard de la Porte-Ottomane. » La dépêche défendait entre autres choses toutes relations avec le ministère turc et Constantinople, et ordonnait la suspension du paiement des tributs à la Porte. L’hospodar de Moldavie fit connaître immédiatement cette défense à Rechid-Pacha avec la peine la plus sensible, « afin, disait-il, que le grand-vizir avisât dans sa haute sagesse et de la manière qu’il jugerait convenable. » Il fit en même temps part de sa démarche au prince Gortchakof, qui lui répondit par un silence significatif. L’hospodar de Valachie mit la dépêche du comte de Nesselrode dans son portefeuille, et se tut.

L’avant-garde russe, commandée par le général comte Anrep, fit son entrée à Bucharest le 15 juillet 1853. Cette entrée fut solennelle, et le métropolitain bénit les troupes russes à leur défilé. Le prince Gortchakof fut reçu avec le même cérémonial, et l’hospodar, par ordre supérieur, lui fit la première visite[1]. À la fin du mois de juillet, les forces russes, ayant leur quartier-général à Bucharest, occupaient toute la ligne de Galatz à Giurgevo. Un corps de dix à douze mille hommes, sous les ordres du général Fischbach, avait été envoyé vers Slatina, sur l’Olto, et à Craïova, chef-lieu de la Petite-Valachie, pour observer les mouvemens des Turcs à Widdin. Les populations au milieu desquelles s’installaient ces troupes étaient plongées dans la stupeur ; elles se souvenaient des charges que leur avait imposées l’occupation de 1848-51. Les traces du premier

  1. L’hospodar Stirbey dut surmonter un profond découragement pour veiller au cérémonial de ces réceptions : au moment même où les Russes faisaient leur entrée, la nouvelle s’était répandue que la Porte allait inviter les hospodars à se démettre de leurs fonctions, vu leur empressement à se rendre aux réquisitions de l’armée envahissante.