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David revenait en France, résolu à réaliser son projet : la prodigieuse fortune de Canova n’avait pas affaibli ses espérances de renommée. Il voulait arriver à la gloire par une autre route.

Cependant, avant de rien entreprendre, il désira voir les marbres d’Athènes placés récemment dans le Musée britannique. A l’exception d’un torse antique, débris d’un Hercule au repos, le Vatican ne possède rien qui se puisse comparer aux précieux fragmens rapportés en Angleterre par lord Elgin. David, en visitant le Musée britannique, comprit mieux encore tout ce qu’il y avait de contraire au génie de l’antiquité dans le talent de Canova. La Grande-Bretagne possédait alors un artiste éminent, un statuaire célèbre, dont les dessins pourtant sont plus estimés que les œuvres modelées. Les compositions de Flaxman, tirées d’Homère et des tragiques grecs, sont empreintes d’une grandeur vraie, d’une simplicité que les modernes ont rarement rencontrée. David, saisi pour lui d’une admiration sincère, sollicita ses conseils et fut durement éconduit. Le nom qu’il portait était pour Flaxman un sujet d’aversion; c’était le nom d’un régicide. Louis David avait envoyé Louis XVI à l’échafaud; Je sculpteur anglais refusa d’admettre dans son atelier un jeune homme qui avait suivi les leçons d’un tel maître et qui s’appelait comme lui. Le jeune pensionnaire se consola de sa mésaventure en retournant vers les marbres d’Athènes. On raconte qu’à cette époque, ayant presque épuisé ses dernières ressources, il fut obligé de chercher l’emploi de son ciseau comme il l’avait fait en arrivant d’Angers à Paris. On lui offrit une somme considérable, s’il voulait élever un monument à la mémoire de Waterloo. Il refusa cette offre injurieuse avec indignation, vendit ce qui lui restait et revint en France, n’emportant de l’Angleterre qu’un amer souvenir.

Son talent avait mûri. L’Italie, sans déranger ses premiers projets, lui avait enseigné le sens du passé; la Grèce, dont il venait d’admirer les débris au musée de Londres, lui avait révélé la beauté sous un aspect nouveau. Arrivé à l’âge de vingt-sept ans, initié par un travail assidu à la pratique matérielle de son métier, il flottait entre plusieurs conceptions, lorsque des amis s’employèrent activement pour le tirer d’embarras. Rolland venait de mourir, sans avoir eu le temps d’ébaucher complètement une statue de Condé, destinée au pont de la Concorde. David, comme son meilleur élève, fut chargé d’achever ou plutôt d’exécuter ce travail important. La figure de Condé jetant son bâton de commandement pour décider la victoire, que nous avons vue pendant plusieurs années à Paris, est aujourd’hui placée dans la cour d’honneur de Versailles avec les autres figures qui décoraient le pont de la Concorde. Ce n’est pas