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difficultés à vaincre ; la crainte seule d’un refus le retenait. Il ne pouvait s’empêcher de penser à la lettre qu’il avait écrite, et il avait peur. Chez un homme gâté par des succès de province et aussi infatué de son mérite que l’était M. de Mauvezin, la peur était un signe d’amour irrécusable. M. Deschapelles se chargea de lui parler.

— Çà, lui dit-il avec une brusquerie affectée, il faut s’entendre. Vous êtes comme le lion de l’Évangile : vous rôdez autour de La Bertoche, et l’on sait quelle proie il y a à dévorer.

M. de Mauvezin rougit malgré son aplomb ordinaire.

— Or Mme de Fougerolles ne veut pas que sa brebis soit enlevée, reprit le notaire ; elle a peur de vos dents, qui en ont croqué bien d’autres. M’est avis qu’il faut se prononcer. Il y a des prétendans en campagne ; c’est un escadron, ce sera bientôt un régiment. La fille ne dit rien ; mais vous savez le proverbe : À fille qui se tait, le diable parle. Ce silence est donc pour quelqu’un. Si vous êtes curieux, prenez vos informations ; si vous ne l’êtes pas,… il faut laisser la place à de plus madrés.

— Eh bien ! dit M. de Mauvezin, j’interrogerai Mlle du Rosier. Il le fit le jour même. Alexandrine le laissa s’expliquer sans l’interrompre, jouant à demi la surprise.

— À vous parler franchement, dit-elle, je ne m’attendais pas à cet aveu… Vous m’en voyez un peu étonnée… au point même que si un autre que vous me parlait en votre nom, je ne le croirais pas.

M. de Mauvezin se troubla tout à fait ; il essaya de répondre et balbutia une phrase dans laquelle on distinguait les mots d’amour sincère, de dévouement et de regret.

— Si, comme je le pense, votre demande part d’une résolution bien arrêtée, reprit Mlle du Rosier, qui jouissait de son embarras, permettez-moi de réfléchir. Un mariage vaut bien la peine qu’on y pense quelques jours.

M. de Mauvezin s’inclina. Un secret espoir, quelques inductions qu’il avait tirées des ouvertures de M. Deschapelles, son extrême fatuité, qui ne dormait jamais qu’à demi, un peu aussi la manière dont Mlle du Rosier l’avait accueilli à Paris, lui avaient fait croire que les choses iraient plus vite. La réponse évasive d’Alexandrine le laissa dans une grande inquiétude, et le chagrin réel qu’il en éprouva lui fît comprendre qu’il l’aimait plus sérieusement qu’il ne l’avait pensé d’abord. Il crut Alexandrine perdue pour lui : si elle l’avait aimé, n’aurait-elle pas accepté sur-le-champ ?

Mlle du Rosier garda le silence le plus absolu pendant toute une semaine. Elle voyait Anatole chaque jour, à toute heure, et affectait de parler de choses indifférentes avec la même gaieté. Il semblait que rien ne la préoccupât. M. de Mauvezin avait beau l’observer, il