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semblent aujourd’hui fabuleux, étaient copiés par ses élèves huit ou dix fois, et les répliques étaient payées presque aussi cher que les originaux. Maintenant nous avons peine à comprendre l’engouement de l’Italie pour le sculpteur vénitien, mais en 1811 la France partageait le sentiment de ses compatriotes. David, sans méconnaître le talent de Canova, ne pouvait cependant l’accepter comme un régénérateur. Tout en rendant justice à la richesse de son imagination, il voyait avec peine l’énergie et la vérité sacrifiées à une fausse élégance. Malgré sa jeunesse, il sentait que la sculpture, en suivant le maître vénitien, faisait fausse route, et l’opinion du lauréat de vingt-deux ans est aujourd’hui celle de tous les hommes éclairés. La Madeleine, qui a figuré longtemps dans la galerie Sommariva, et plus tard dans la galerie Aguado, n’est plus considérée comme un chef-d’œuvre. La Vénus du palais Pitti n’est plus donnée comme un prodige de jeunesse et d’expression voluptueuse. Le groupe d’Hercule et Lycas du palais Torlonia, autrefois tant admiré, ne réunit plus que de rares suffrages. L’exécution de ces deux figures ne s’accorde guère en effet avec le caractère de la conception. Si le mouvement est hardi, la forme n’est pas assez franchement accusée. Quant aux compositions religieuses de Canova qui se voient à l’académie de Venise, on s’accorde généralement à reconnaître qu’elles sont fort au-dessous de ses compositions païennes. Si son nom garde encore une grande célébrité, l’autorité de ses œuvres a singulièrement diminué.

Admis dans l’atelier du sculpteur vénitien, David ne fut pas converti par le succès. Il rêvait déjà un autre but, une autre route. Pour lui, Canova ne représentait qu’un retour violent vers le passé, et il comprenait que ce retour n’était pas sincère, que l’antiquité n’aurait pas accepté les œuvres nouvelles comblées de louanges par l’Italie entière. Ge qu’il y a de certain, c’est que l’élève de Rolland tourna ses études d’un autre côté. S’il est permis de deviner les prédilections de sa jeunesse d’après les compositions de son âge viril, j’incline à croire qu’il a dû consulter souvent et dessiner avec ardeur les bas-reliefs de la colonne Trajane. Il est impossible de ne pas saisir entre ces bas-reliefs et ceux que David a modelés une certaine affinité. La colonne Trajane n’appartient pas aux plus beaux temps de l’art antique, mais les compositions qui la décorent se recommandent par l’énergie des mouvemens, par la variété, la vivacité des physionomies, et je conçois sans peine qu’un lauréat de vingt-deux ans, qui rêvait pour la sculpture une mission populaire, ait préféré les bas-reliefs de cette colonne à des œuvres plus pures, mais d’un accent moins pénétrant. Après cinq ans d’études assidues,