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qui résulte du séjour à la campagne pour donner à son langage un tour plus tendre et plus vif.

Mlle  du Rosier le connaissait trop bien à présent pour ne pas démêler les motifs de cet intérêt si pressant, mais elle se garda bien de lui laisser voir qu’elle le comprenait à demi-mot. Rien ne parut changé dans son attitude, peut-être même parut-elle moins attentive et moins désireuse de causer avec lui. Elle était aimable et prévenante, mais comme une maîtresse de maison qui pense à ses hôtes, et non pas comme une jeune fille heureuse et troublée de la présence d’un homme qu’elle a aimé. Cette nuance n’échappa pas à M. de Mauvezin. Il chercha un rival autour de lui et n’en trouva pas ; il pensa qu’elle attendait une occasion pour faire un choix, ou bien encore qu’elle était fiancée à un inconnu qu’on verrait arriver tout à coup à La Bertoche. Sa perplexité augmentait chaque jour. Il essaya de sonder le vieux notaire, mais il avait affaire à plus fort que lui. M. Deschapelles aimait Mlle  du Rosier à sa manière. Il fit le mystérieux, et parla de l’avenir en termes vagues qui ne précisaient rien, mais permettaient de tout espérer.

L’entretien fini, M. de Mauvezin regretta vivement de ne s’être pas ouvert à Mlle  du Rosier pendant leur séjour à Paris. Comment n’avait-il pas compris que l’héritière qu’il cherchait depuis si longtemps, il l’avait sous la main ? Il le regrettait d’autant plus que Mlle  du Rosier produisait alors sur lui une impression dont il ne démêlait ni l’étendue ni la profondeur, et qu’il n’avait pas encore ressentie. Elle ouvrait son esprit à des sensations qu’il ne connaissait pas, et l’initiait en quelque sorte à un ordre de pensées auxquelles dans sa vie un peu creuse, et mal servi par une intelligence paresseuse, il ne s’était jamais arrêté. La fatuité, l’égoïsme, une sorte de finesse, ou, pour mieux dire, de méfiance provinciale, dont il ne s’était pas défait à Paris, protégeaient de leur mieux M. de Mauvezin et le défendaient contre les séductions de toute nature qu’on voyait chez Mlle  du Rosier. Il était comme un chevalier bardé de fer qu’une troupe d’archers assaille de mille traits ; l’armure résiste et le chevalier tient bon, mais un trait atteint le défaut de la cuirasse, un autre glisse entre les mailles de fer, et bientôt l’homme invulnérable sent à ses blessures qu’il est criblé de coups. M. de Mauvezin en était là. La supériorité de Mlle  du Rosier et la grâce avec laquelle elle en voilait à demi les apparences étaient comme un sel pour cet esprit pauvre et blasé. Il semblait découvrir qu’il y avait autre chose que la dot chez une femme et que la richesse dans la vie.


Au bout d’un mois ou deux de séjour à La Bertoche, M. de Mauvezin ne parlait pas encore de partir. Un jour qu’il marchait à grands pas dans le parc cherchant Alexandrine, Mme  de Fougerolles, qui était assise avec sa nièce au pied d’un arbre, la poussa du coude :