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qui avaient coutume de venir à ce moment-là. Ils s’adressaient d’abord à Mlle du Rosier, qui les lui renvoyait tous. On sait que la baronne restait fort tard le matin dans sa chambre. Toutes ces visites l’impatientèrent d’abord, puis l’irritèrent au plus haut point. Dix jours s’étaient déjà écoulés depuis la rupture qui avait suivi leur discussion, et rien n’indiquait chez Mlle du Rosier d’entrer en arrangement avec sa tante. Deux fois déjà on l’avait surprise en grande conversation avec Mme de Bonneval, et la baronne savait, à n’en pas douter, que sa correspondance avec Moulins était plus active que jamais. Encore cinq ou six jours, et tout serait fini, et, par une singulière coïncidence, jamais Mlle du Rosier ne s’était montrée si empressée dans ses lectures, si attentive dans les mille petits soins qui rendent un salon aimable aux visiteurs. Un matin qu’elle avait été dérangée trois ou quatre fois de suite, Mme de Fougerolles fit prier en toute hâte Mlle du Rosier de monter chez elle. Les rideaux n’étaient pas encore tirés.

— Eh ! bon Dieu ! petite, s’écria-t-elle en lui tendant les clés, ne saurais-tu me laisser dormir en paix ? Prends-moi ça, et fais-en tout ce que tu voudras.

— Tout ? répondit Alexandrine en lui jetant un regard clair.

— Eh ! oui, têtue, répondit Mme de Fougerolles, qui déjà posait la tête sur l’oreiller.

Mlle du Rosier emporta les clés. C’était la première fois que Mme de Fougerolles la tutoyait. Alexandrine comprit que la victoire était complète, et de ce moment il ne fut plus question de départ et de séparation.

M. de Mauvezin n’avait pas cessé de fréquenter l’hôtel de Mme de Fougerolles depuis le dîner où il avait revu Mlle du Rosier. Ce silence profond sur le passé, cet accueil aimable qu’elle lui faisait toujours, ce détachement qu’elle montrait de toutes choses, l’étonnaient au plus haut point. Peut-être même éprouvait-il un certain dépit de voir si peu de douleur après une rupture si soudaine. De la colère ou tout au moins de la froideur aurait indiqué quelque regret. Cette grâce et ce sourire prouvaient qu’elle l’avait bien peu aimé, et la fatuité de M. de Mauvezin s’accommodait mal de cette indifférence. Il était un peu comme certaines femmes qui veulent bien perdre la mémoire, mais qui ne permettent pas qu’on les oublie. La dignité de maintien de Mlle du Rosier, qui forçait tous les yeux à se tourner vers elle, était encore une supériorité qui frappait M. de Mauvezin. À Moulins, il n’avait vu que l’héritière ; à Paris, il découvrait la femme, une femme aimable, et que son esprit distingué portait sans peine au premier rang. Il s’habitua tout doucement à la rechercher, à causer avec elle, à lui marquer une préférence toute particulière, et Mlle du