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humble et fière. Elle ne renonça pas non plus à ses travaux de broderie et de couture, et prit l’habitude de tailler elle-même ses robes. On était sûr de la trouver l’aiguille à la main, assise auprès d’une fenêtre, durant les heures qu’elle ne passait pas à la promenade. Ce travail obstiné, que n’égayait aucune chanson et dans lequel l’enchaînait une froide résolution, encouragée, au grand déplaisir de la baronne, par les conseils paternels du curé et les éloges du notaire, lui rapporta bientôt quelque argent, qu’elle employa en aumônes avec une générosité qui entrait dans son caractère, mais qui cette fois n’était peut-être pas sans calcul. Ces aumônes ne se composaient guère que de menues monnaies et de quelques pièces blanches ; mais, distribuées judicieusement et à propos parmi les pauvres gens qui en avaient un besoin réel, elles acquirent une importance bien autrement haute que leur valeur. Peu à peu Mlle du Rosier prit l’habitude de se promener chaque jour dans la campagne et d’entrer dans les chaumières qui se trouvaient sur son passage ; elle interrogeait les enfans sur les besoins de la famille, et causait quelquefois avec les bonnes femmes qu’elle rencontrait menant paître leur vache. Comme tous les cœurs blessés, elle aimait la solitude des champs et le silence des bois ; mais de singulières pensées la poursuivaient dans ces promenades, qui étaient en même temps un exercice salutaire pour son corps et un sujet de méditations pour son esprit. Un jour que le notaire la questionnait sur ces longues excursions qu’elle faisait dans les plaines et les vallons : — Je fais mon cours de philosophie, répondit-elle avec un certain sourire qu’il connaissait bien.

N’eût-on pas su dans le pays qu’elle habitait le château et qu’elle était nièce de Mme de Fougerolles, elle avait pour la protéger son attitude et son grand air. Les paysans n’osaient même pas la regarder en face quand ils lui parlaient, et leurs femmes se tenaient toutes droites devant elle et les yeux baissés lorsqu’elle était entrée dans leurs chaumières. Quand elle suivait un sentier avec ses vêtemens noirs, grave et silencieuse, les petits garçons se cachaient derrière les haies pour la suivre des yeux ; ils se poussaient du coude, n’osant presque plus respirer, et se disaient tout bas : — Voilà la demoiselle noire qui passe !

Un jour qu’elle s’était égarée après un orage, elle demanda son chemin à un petit paysan ; l’enfant ôta son chapeau et marcha droit devant elle sans répondre. Elle eut beau l’engager à se couvrir, il ne voulut rien entendre et resta tête nue jusqu’à l’entrée du parc ; là il étendit le bras dans la direction du château, la salua et partit en courant. Le dimanche à la grand’messe, dès le premier pas qu’elle faisait dans l’église, tous les rangs s’ouvraient pour lui faire un passage, et bien qu’elle marchât derrière Mme de Fougerolles, la crainte et le respect étaient pour elle.