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— Laissez cela ! s’écria-t-elle en s’emparant de la tapisserie ; occupez-vous plutôt à servir le thé.

Mlle du Rosier s’inclina. — Je suis votre servante, madame, reprit-elle, et elle rentra au salon.

Mais cette première épreuve ne suffisait pas à Mlle du Rosier. Au moment où la compagnie allait se retirer, elle s’approcha du notaire, les mains chargées de petites boîtes.

— Voulez-vous me rendre un petit service qui ne vous coûtera rien ? dit-elle avec un sourire.

— Méchante, vous savez bien que je suis tout à vous ! répondit M. Deschapelles.

— Eh bien ! il s’agit d’offrir à l’un des bijoutiers de Moulins ces quelques bagatelles… Il y a une chaîne d’or, une petite croix de turquoises, des bracelets,… tout mon écrin de jeune fille… Vous en tirerez le meilleur parti possible… Songez-y ! c’est tout mon capital.

Les dames, qui mettaient leurs châles et leurs chapeaux, s’arrêtèrent pour écouter. Mme de Fougerolles sentait des fourmillemens dans ses doigts.

— Mais pourquoi vendez-vous tout cela ? demanda le notaire, qui devinait à peu près et se faisait volontairement le complice d’Alexandrine.

— Eh ! mais, pour acquitter cette note,… reprit-elle en lui tendant la facture du parfumeur ; le reste servira à payer les petites dépenses qu’exigera mon entretien.

Deux ou trois regards étonnés se portèrent sur Mme de Fougerolles. Le notaire prit les mains d’Alexandrine.

— Donnez, mon enfant, donnez ! dit-il d’une voix mielleuse. Ces bijoux n’iront pas chez un marchand ;… je les mettrai en loterie, et on s’arrachera les billets, je vous en réponds… J’en prendrai, moi qui n’en prends jamais ! Ah ! madame la baronne, dit-il en se retournant vers Mme de Fougerolles, quelle enfant la Providence vous a donnée !

Si Mme de Fougerolles laissait partir M. Deschapelles avec les bijoux, elle le connaissait assez pour savoir que cette histoire de loterie défraierait les conversations de Moulins pendant trois mois.

— Mais, dit-elle avec un sourire contraint, j’ai bien le droit de retenir aussi des billets.

— Sans doute, répondit le notaire.

— Dans ce cas, je les prends tous. Les bijoux sont à moi, et je prie ma nièce de les accepter. La note à présent me regarde.

Un premier succès avait signalé le commencement de la lutte. Mlle du Rosier ne voulut pas en abuser, et remercia Mme de Fougerolles devant tout le monde ; mais elle ne quitta plus la robe de laine, et conserva dans ses ajustemens l’apparence d’une pauvreté à la fois