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débarrassés de leurs housses, voyaient le jour. Toute la maison était en l’air, et Mme Ledoux tremblait à la pensée du lendemain.

À l’heure du dîner, Alexandrine descendit de sa chambre et entra dans le grand salon, magnifiquement éclairé. Elle était vêtue d’une robe de laine noire fort propre, mais fort vieille et fort usée. Aucun bout de dentelle, aucun brin de jais n’en rehaussait l’austère vétusté. Mme de Fougerolles se leva.

— Mais à quoi pensez-vous, mademoiselle ? Nous avons du monde, s’écria-t-elle,

— M. le curé et ces dames voudront bien m’excuser, répondit Mlle du Rosier, mais je suis pauvre et je ne porte plus de robes de soie.

— Oh ! chère enfant, votre vertu vous fait une parure ! s’écria M. le curé.

Les yeux de Mme de Fougerolles lançaient des éclairs, et le notaire, qui comprenait à demi-mot, se frotta les mains.

Après le diner, Mlle du Rosier s’assit dans l’embrasure d’une fenêtre, et, tirant d’un panier à ouvrage sa laine et son aiguille, elle se mit à travailler activement. Pendant un quart d’heure, Mme de Fougerolles, qui l’observait du coin de l’œil, la laissa faire. Autour d’elle, on causait et on jouait ; mais voyant enfin que l’aiguille ne se lassait pas d’aller et de venir :

— Mais, mademoiselle, dit-elle en s’efforçant de sourire, oubliez-vous donc qu’on ne travaille pas dans un salon ?

— C’est vrai, répondit Alexandrine.

Elle rejeta la laine et le canevas dans son panier, le prit, se leva et alla s’asseoir dans l’antichambre, où se tenait une fille de service.

Un moment après, Mme de Fougerolles, ayant besoin d’eau chaude pour le thé, sonna. La fille s’était éloignée pour un instant. La baronne, impatientée, ouvrit la porte et vit Mlle du Rosier.

— Que faites-vous donc là ? demanda-t-elle.

— Je travaille, madame : quand on n’a rien, il faut bien apprendre à se servir de ses dix doigts.

Elle prit sa tapisserie, et l’étalant aux yeux de M. Deschapelles, qui par curiosité avait suivi Mme de Fougerolles : — On en pourra faire un coussin, reprit-elle ; quand il sera fini, vous m’aiderez bien à le vendre.

M. Deschapelles joignit les mains avec une feinte admiration.

Mlle du Rosier, la propre nièce de Mme la baronne de Fougerolles, qui travaille comme une ouvrière, et dans une antichambre encore ! Ah ! c’est beau ! s’écria-t-il. Dès mon retour à Moulins, je me fais une fête de parler de vos tapisseries à mes belles clientes… Je veux que ce coussin aille chez Mme la comtesse de Cheron.

À ce nom, Mme de Fougerolles tressaillit : c’était celui d’une dame qui tenait la tête de l’aristocratie bourbonnaise.