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— Vous avez raison, madame, répondit-elle froidement, et elle s’assit à table.

Pendant tout le dîner, elle affecta de parler avec une grande gaieté ; mais, rentrée chez elle et la porte fermée, elle éclata. Les larmes et les sanglots la suffoquaient ; vingt fois elle essaya de rentrer en possession d’elle-même et vingt fois elle échoua. Son cœur était comme brisé. Elle arracha sa robe bien plus qu’elle ne la détacha, et se mit à vider ses tiroirs dans une malle avec des mouvemens convulsifs.

— Maison maudite ! dit-elle. Oui, je la quitterai ! Ah ! elle veut que je travaille ! Eh bien ! je travaillerai… Mieux vaut encore du pain noir que tant d’humiliations !

Puis tout à coup, et la malle à moitié pleine, elle la repoussa.

— Eh bien ! non ! s’écria-t-elle ; je suis entrée dans cette maison, j’y resterai !…

Elle se regarda dans une glace : son visage était couvert de larmes. Elle s’empara d’un mouchoir et le passa vivement sur ses joues et ses yeux.

— Voyons, j’ai vingt ans. Est-ce qu’on pleure à vingt ans ? reprit-elle.

Elle courut sur le balcon et exposa son front brûlant au vent froid de la nuit. — Ah ! monsieur de Mauvezin, murmura-t-elle, voilà encore un jour que je n’oublierai pas !

À quelque temps de là, Mme de Fougerolles reçut la visite du vieux notaire avec lequel elle avait à rédiger des baux de ferme. M. Deschapelles, heureux de revoir Alexandrine, pour laquelle il éprouvait l’affection d’un philosophe épris d’un problème, n’avait pas voulu laisser à un petit clerc le soin de partir pour La Bertoche. Il trouva Mlle du Rosier telle qu’il s’y attendait, calme, tranquille et sérieuse.

— Vous plaisez-vous ici ? lui dit-il.

Mlle du Rosier sourit légèrement. — J’y vis des bontés de Mme la baronne, répondit-elle ; je n’ai pas le droit de chercher à savoir si je m’y plais.

Mme de Fougerolles feignit de ne pas entendre. Depuis le dernier mot par lequel Mlle du Rosier avait terminé leur discussion au sujet de la note du parfumeur, il lui semblait que la victoire lui était restée, et elle n’était plus revenue sur cet entretien. La présence du notaire à La Bertoche lui fut un prétexte d’inviter à dîner le curé de l’endroit et deux ou trois des notables habitans avec leurs femmes et leurs filles. Dans ces sortes d’occasions solennelles, où la vanité de la baronne l’emportait sur son avarice, on tirait des armoires le vieux linge de Saxe damassé aux armes de la famille, on exposait sur les buffets la lourde argenterie et on mettait des bougies dans les grands candélabres dorés du temps de Louis XIV. Les meubles,