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à la Suède ? On sait le mot du Portugais qui, tombé dans un puits, aperçoit d’en bas un Espagnol et lui crie : Castillan ! Castillan ! tire-moi de ce danger, et je te ferai grâce de la vie ! — Nous ne disons pas qu’entre Norvégiens et Suédois les sentimens en soient là ; mais il est facile pourtant de calculer ce que l’estime mutuelle a de progrès à faire. Les deux nations ne se connaissent pas assez l’une l’autre. Chacune d’elles sait mieux les affaires et la littérature de l’Angleterre, de l’Allemagne ou de la France que celles de sa voisine. Ce n’est pas là le moyen de rectifier certaines opinions préconçues ; une intimité plus complète amènerait des concessions réciproques, seules capables de rendre l’union plus féconde. Si les traditions et le passé de la Suède lui ont légué des institutions qui paraissent aujourd’hui en quelque façon surannées, elle doit du moins à ce passé glorieux d’occuper une belle place parmi les nations de l’Europe. L’esprit suédois est noble, généreux, élevé — souvent jusqu’au mysticisme. Fière de sa liberté, la Norvège est douée d’une plus active énergie, d’un génie plus pratique en toutes choses. Eh bien ! réunissez ensemble ces qualités diverses au lieu de les opposer l’une à l’autre, et vous aurez un faisceau redoutable, dont le lien commun sera une entière harmonie dans une liberté plus conforme aux règles d’une sage démocratie.

Le prince royal de Suède vient d’être nommé vice-roi de Norvège. Nous accueillons cet augure d’un rapprochement plus intime. Christiania va avoir une cour, il est vrai, l’appareil d’un gouvernement, des hôtes royaux ; il y aura bien autour du prince quelques chambellans, quelques nobles suédois, des privilèges, des titres, des rubans, choses suspectes à la liberté norvégienne, un peu ombrageuse. Néanmoins le prince royal est, lui aussi, d’humeur à respecter, à aimer la liberté ; il est ardent pour les intérêts communs de la Scandinavie ; placé au milieu des Norvégiens, il connaîtra leurs vœux et leur fera connaître ceux des Suédois. Déjà l’établissement d’une commission mixte ayant pour but de simplifier le système douanier entre les deux pays est un présage d’une entente plus complète dans l’avenir. La conciliation d’intérêts quelquefois divers sortira d’un rapprochement plus continuel.

Mais pour Bernadotte, il faut le reconnaître, après avoir été abreuvé de défiances et de dégoûts par l’alliance qu’il avait conclue avec la Russie en 1812, il n’a pas même obtenu intacte la compensation qu’on lui avait fait attendre si longtemps. On lui avait promis la Norvège comme un dédommagement de la Finlande, c’est-à-dire apparemment comme devant former un bel et bon accroissement de territoire et de puissance : au lieu de cela, il n’a eu qu’un appendice mal uni, qui lui a été gênant et même dangereux.