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Voilà précisément par quelles routes Bernadotte a engagé la Suède dans une lutte ou du moins dans un antagonisme dangereux contre la Norvège. Ni les idées, ni les mœurs, ni les institutions de ces deux peuples ne sont actuellement les mêmes ; il y a encore dissentiment. La Suède a des traditions et un passé historique dont manque la Norvège. La Suède a conservé une noblesse et une représentation qui semblent peu d’accord avec l’esprit moderne, tandis que la Norvège dédaigne ces reliques du passé, et les a rejetées hors de sa constitution. La Suède a conservé une église d’état, et cette église a le tort, bien grave dans notre temps, de se montrer intolérante, sans qu’on puisse attribuer ses duretés à l’impulsion d’une foi si ardente qu’elle soit impuissante à se maîtriser elle-même ; la Norvège au contraire a proclamé la liberté religieuse. La Suède s’est montrée depuis quarante ans plus soucieuse d’un développement intérieur conforme aux idées exclusivement suédoises que de relations nouvelles à contracter au dehors et de nouvelles maximes à se faire enseigner. La Norvège au contraire a les yeux sans cesse tournés vers l’Angleterre. Christiania parle anglais et prend le thé, tandis que Stockholm en est encore, il faut le dire, à une remarquable absence de tout comfortable, au knœckebröd et au poisson fumé ! — La liste serait bien longue des dissentimens qui se sont élevés entre les deux pays depuis qu’ils sont, par un lien jusqu’à présent factice, attachés l’un à l’autre. Malgré Bernadotte, la Norvège a refusé de reconnaître une noblesse ; malgré lui, elle a persisté à célébrer cet anniversaire du 17 mai qui, rappelant la constitution libre de 1814, semblait répéter chaque année au gouvernement suédois que l’union ne reposait que sur la libre acceptation du peuple norvégien. On sait quels continuels efforts Bernadotte a vainement tentés pour faire disparaître cet article de la constitution qui place un vœu exprimé par trois storthings successifs au-dessus du veto royal. Tout récemment encore, le storthing a prétendu, à propos d’une loi relative à l’institution du jury, maintenir, après la session terminée, une commission par lui nommée à cet effet et non autorisée par le roi. Il a paru ensuite disposé à voter l’abolition de la dignité de gouverneur, c’est-à-dire à briser un des rares liens entre les deux gouvernemens. Il y a quelques semaines, les régimens de la garde suédoise, le prince royal en tête, ayant pris la résolution d’élever une statue à Charles XII devant la petite ville de Frederikshall, en Norvège, qu’il assiégeait quand il y fut tué, les Norvégiens ont très vivement réclamé, et la presse a failli envenimer le débat. Au commencement de la guerre enfin, n’a-t-on pas entendu exprimer à Christiania certains avis assez peu favorables à une conquête de la Finlande, de peur que cette annexion nouvelle ne vînt resserrer les liens qui rattachent aujourd’hui la Norvège