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commerce ; sachez les langues, surtout le latin et le velche[1], qui sont si répandus au loin ; n’oubliez point pour cela votre langue maternelle. Employez enfin vos loisirs à l’étude des lettres, car ceux-là sont moins sages et moins prudens à qui les lettres sont moins familières… » A coup sûr, c’est la un beau programme de vie commerçante, et dont l’application, en beaucoup de points, ne messiérait pas à d’autres temps que le XIIIe siècle. Apparemment le libre essor ne manquait pas à ce négociant, dont les vaisseaux allaient visiter des plages inconnues, et dont la richesse récompensait les énergiques efforts. Son commerce faisait vivre le matelot et le paysan des montagnes, qui préparaient pour l’exportation, l’un le poisson, récompense de sa pêche laborieuse, l’autre les bois qu’il fallait abattre, ébrancher, équarrir, avant de les livrer au cours d’eau descendant de la forêt. Eux aussi, pêcheur et paysan, devenaient riches par le travail, et le travail, accomplissement des devoirs, donne à qui lui reste énergiquement fidèle le sentiment de ses droits.

Tout paysan de Norvège savait au moyen âge et sait encore aujourd’hui qu’il est égal politiquement à tout autre de ses concitoyens, et qu’il peut, comme tout autre, devenir représentant de la nation, s’il en est digne par son instruction et ses lumières. Les paysans norvégiens du XIXe siècle ont conservé le souvenir et l’habitude de l’ancienne indépendance, et l’on raconte que le roi de Suède, dans un voyage à Christiania, ayant invité à sa table, avec quelques députés du Storthing, un paysan leur collègue, en reçut cette réponse : « Je ne puis aujourd’hui, parce que j’ai mon voisin à dîner ; mais dites que j’irai demain et que je n’y manquerai pas. » Ce qui est plus sûr, c’est que la royauté, jusque dans les derniers temps, rencontra dans ces paysans les plus zélés défenseurs des libertés nationales. Encore une fois, c’est dans le travail patient et mâle que le paysan de Norvège a puisé, avec un bien-être qui lui suffit aisément, avec la pureté des mœurs, un vif amour de son indépendance. Ouvrez le livre charmant où sont retracés par le crayon cette suite de tableaux à la fois gracieux et sévères que M. Tidemand, dont l’exposition de 1854 a fait connaître plusieurs belles peintures, a composés pour le château royal d’Oscars-Hall, près de Christiania, et qui représentent les différens épisodes de la vie du paysan norvégien[2]. Chacune de ces lithographies, habilement coloriées suivant les procédés des artistes de Düsseldorf, est accompagnée de quelques stances norvégiennes et allemandes qui expliquent la scène. Dessins et stances, c’est tout un petit poème qu’il faut recommander

  1. Latinu ok völsko, sans aucun doute le français.
  2. Norske Bondeliv, un volume oblong ; Düsseldorf, 1851.