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pas. » Pozzo souffrait en entendant ces paroles : « Je suis au désespoir, dit-il, de voir que votre altesse royale se croie en droit d’exprimer de tels reproches. Le noble caractère de l’empereur Alexandre aurait dû rassurer votre altesse. L’empereur saura remplir toutes ses promesses. D’ailleurs, si la cause générale est compromise et finalement perdue par suite de nos divisions intestines, par défaut d’unité et de confiance, quelle entreprise particulière réussira ? La Norvège sera-t-elle jamais après cela une possession sûre et paisible entre les mains de votre altesse royale ? — Plus sûre et plus paisible, répondit avec impétuosité Bernadotte, qui se contenait à peine dans sa baignoire, que n’est en ce moment celle de la Finlande aux mains de votre maître ! » Pozzo di Borgo garda le silence, mais ses lèvres pâles et serrées et l’énergie de son geste, difficilement contenu, dévoilaient suffisamment tout son dépit. Le prince et le diplomate s’étaient l’un l’autre profondément piqués. « Au reste, continua Bernadotte, poursuivant sa première pointe, mes liaisons avec le gouvernement anglais sont parfaitement indépendantes de celles qui nous unissent. Je suis convenu avec le général Hope d’attaquer immédiatement le Danemark. Mon armée est intacte, mes navires de transport l’attendent et la conduiront, c’est le terme de mon traité avec l’Angleterre, partout où nous aurons des ennemis communs. On peut bien se moquer des engagemens, des devoirs, de l’honneur : soit, je suis prêt à tout ; mais ne croyez pas que j’irai, comme un insensé cherchant le suicide, me lancer au beau milieu de l’Allemagne pour tomber victime de vos fautes et de leurs conséquences… En un mot, je continue à demander qu’on observe les traités, et pour moi, j’y resterai fidèle. C’est pour cela que je ne veux pas franchir l’Elbe avant que le cabinet de Copenhague se soit décidé à m’abandonner la Norvège et à se déclarer pour nous ou bien ouvertement contre nous. Et dans l’un ou l’autre cas, je ne fais point un seul pas en avant jusqu’à ce que le contingent russe se soit réuni à mon armée. C’est mon dernier mot. »

L’entrevue allait finir ; mais le colonel Pozzo, qui voyait le but de sa mission près de lui échapper, ne céda pas encore et releva l’entretien : « Cette manière de voir et d’agir entraînera, dit-il, des conséquences telles que non-seulement la cause commune, mais encore les intérêts particuliers de la Suède courent sans nul doute un grand risque. Si sa majesté impériale a cru devoir accéder à l’union de la Suède et de la Norvège, elle ne l’a fait sans aucun doute que dans l’intime conviction que cette réunion serait la récompense des services que votre altesse royale aurait préalablement rendus à la cause commune… » On conçoit qu’à de telles paroles Bernadotte éclata : « Ah ! vraiment, vous trouvez que la Suède n’a rien fait encore ! Ce n’est pas elle qui a montré l’exemple à toutes les autres puissances