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échapper un geste d’étonnement et d’improbation : « Quel autre nom, reprit aussitôt Bernadotte, voulez-vous qu’on donne à la violation de ces mêmes traités sur la foi desquels je suis entré dans la lutte ? Que dire de cette présomption qui, au mépris de tous les conseils de la sagesse et de l’expérience, a peut-être en ce moment compromis sans remède la cause commune ? Et c’est au milieu de toute cette confusion que vous venez me demander de marcher sur l’Elbe avec mes trente mille Suédois, sans aucun auxiliaire, sans même savoir à quoi m’en tenir politiquement et militairement ! Non, monsieur, j’ai agi jusqu’à présent en parfaite conformité avec mes traités, et je ne m’en éloigne pas davantage aujourd’hui. Finissons-en d’abord avec le Danemark ; nous combattrons Napoléon ensuite. »

Pozzo était au désespoir. Dans le moment même où il parlait, l’armée insuffisante de la coalition se réunissait auprès de Leipzig, pendant que les renforts russes étaient encore sur le Niémen, que la Prusse en était à ses premiers préparatifs, et que les trente mille soldats de Bernadotte étaient toujours dans les ports suédois. Il était fort à craindre que Napoléon ne pût être arrêté sur l’Elbe par des forces incomplètes ; cinq jours après l’entretien que nous rapportons, la nouvelle de la défaite des alliés à Lützen justifiait ces craintes. Rien de tout cela cependant n’ébranlait Bernadotte dans son projet bien arrêté de s’assurer avant toute chose la cession de la Norvège : « J’avais prévu tout cela, disait-il froidement. Vous avez dédaigné mes avis ; vous avez franchi l’Elbe sans seconde ligne, sans aucune des précautions que la prudence exigeait. Et maintenant, en présence du danger, vous voudriez que je tirasse les marrons du feu ! Je ne sais pas quels sont au quartier-général de l’empereur Alexandre les faiseurs, mais les faits parlent d’eux-mêmes, et je sais que ces mesures trop précipitées ont été prises chez vous en dépit des conseils de vos généraux, par exemple de Kutusof. — L’Autriche n’était pas prête, dit Pozzo, nous avons passé l’Elbe pour entraîner cette puissance. — Tant pis pour vous ! répondit Bernadotte. Si vous basez vos opérations militaires sur de mauvais calculs politiques, dois-je en supporter les conséquences ? — Mais l’Autriche avait promis de se déclarer en mai, aussitôt que nos armées auraient atteint les frontières de la Bohême. — L’Autriche ! quel fond faites-vous sur cette puissance ? Pour moi, je sais bien ce que j’en dois penser. Je sais bien que le prince Metternich travaille de tout son pouvoir à servir les intérêts de la France et à combattre mes plans sur la Norvège. Au surplus, de la part de l’Autriche, cela ne m’étonne pas ; mais qu’il se trouve dans le conseil de l’empereur de Russie des hommes assez méchans pour l’exciter à violer ses promesses envers moi et à priver la Suède du prix qu’ont mérité ses efforts, voilà ce que je n’attendais