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sa majesté impériale, je laisse de côté l’étiquette. » Il fit asseoir le diplomate près de la baignoire derrière un paravent ; une seule lampe jetait une lueur incertaine, l’entretien commença. Le grand désir du colonel, c’était d’obtenir que le prince, en considération des derniers et menaçans progrès de Napoléon, voulût bien renoncer, actuellement du moins, au corps auxiliaire qu’on lui avait promis, et, laissant de côté son projet favori d’attaquer avant tout le Danemark pour en arracher la cession immédiate de la Norvège, consentît à venir au secours des alliés sur l’Elbe et dans la Saxe. C’est dans cette vue qu’il parla d’abord, représentant au prince les dangers réels qui menaçaient la coalition et les progrès redoutables des armées françaises. Un tel tableau n’était pas fait pour rassurer Bernadotte ; il avait tout à craindre, si Napoléon réussissait par de nouvelles victoires à dicter la paix à la coalition. Il ne voulait pas entrer dans la lutte isolé, privé des auxiliaires qui lui avaient été promis ; il ne voulait pas commettre la faute des Autrichiens à Ulm, lorsqu’ils s’étaient offerts sans leurs alliés aux premiers coups de l’armée française, ni refaire celle des Prussiens à Iéna, qui s’étaient jetés sous l’épée de Napoléon sans attendre les Russes ; il ne voulait pas non plus recommencer les folies de Gustave IV, — mais surtout, et quelque résolution définitive qu’il dût prendre d’ailleurs, il était plus que jamais pressé d’en finir avec la conquête de la Norvège. Tant de perplexités le jetaient à l’avance dans un vif accès de mauvaise humeur, qu’il essaya vainement de dissimuler. « J’ai prévu, dit-il, tous les dangers dont vous me parlez dès le moment où j’ai appris que vous aviez passé l’Elbe. Les obstacles que vous prévoyez m’inquiètent, mais ne me découragent pas. J’aurais le droit de me plaindre ; je veux toutefois ne penser qu’à réparer les fautes commises. Je suis prêt à jeter mon épée dans la balance, mais il est nécessaire que j’en finisse avant tout avec le Danemark. Cette nécessité a été reconnue dans toutes mes conventions avec la Russie, la Prusse et l’Angleterre. Et, vous le savez bien, monsieur, la Suède n’est nullement obligée à se battre pour la Russie avant d’avoir acquis la Norvège. Je dirai plus : la conduite déloyale du cabinet de Saint-Pétersbourg me fournit une occasion légitime de rester attaché à ma première conduite. » — Le diplomate voulait répondre ; Bernadotte continua en s’animant : « Cette mission perfide du prince Dolgorouki à Copenhague, monsieur, est un avertissement qu’il m’en a coûté de recueillir, après que j’avais voué à l’empereur une fidélité sans bornes. — Mais, interrompit le colonel, le prince Dolgorouki a été rappelé et désavoué. — Soit, répondit Bernadotte ; mais que fait ce comte de Moltke (ministre de Danemark) au quartier-général de l’empereur Alexandre ? Je ne vois partout qu’artifice et que duplicité. » — Comme le colonel laissait