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avec prudence et réserve, engage la Porte à suivre avec beaucoup d’attention les événemens, en se tenant prête à en profiter, selon l’occasion… Qu’il dise que la Suède sera toujours aussi attentive à ce qui peut intéresser la Porte qu’elle le fut naguère, quand j’avertis le divan des projets que Napoléon avait tramés contre lui. Qu’il répète que la Suède et la Porte ont mêmes intérêts, mêmes ennemis, et qu’il faut entre elles une confiance illimitée, des informations et des avis réciproques. — Envoyez Brun-Krona en Finlande, à Abo. Chargez-le de nous gagner là autant d’amis qu’il sera possible. Qu’il parle avec confiance de l’union et de la force des Suédois ; qu’il rappelle leurs anciennes victoires, les lauriers de Narva, et surtout leur sympathie toujours vivante pour les Finlandais. — Faites dire, mais dans le plus grand secret, à vos amis de Pologne qu’ils ne désespèrent pas, que la Providence a sans nul doute assigné un terme à leurs malheurs, et qu’ils n’ont besoin que de vouloir pour redevenir un peuple libre. — Tout ce que je viens de vous dire est le langage inévitable d’une prévoyance que nous impose la politique incertaine et sans foi du cabinet russe. Je fais, à la vérité, une différence entre de tels ministres et l’esprit loyal du tsar ; mais ce prince ne fait pas toujours ce qu’il veut, et, comme il a souvent méconnu les traités les plus sacrés, j’ai besoin de me tenir sur mes gardes pour ne pas être victime de la mauvaise foi de ses conseillers… Si l’empereur Alexandre voulait tromper pour la seconde fois la Suède, je ne me croirais pas quitte envers cette noble nation avant d’avoir vengé toutes ses insultes[1]. »

Quel curieux programme, dont l’adoption eût changé toutes les destinées de l’Europe ! Suède et Turquie, Finlande et Pologne liées par les mêmes intérêts, la Suède et la France prenant en main ces intérêts, que de soudaines lumières ! Mais de telles paroles étaient un démenti à toutes les maximes que Bernadotte avait imposées à la Suède comme bases de la politique de 1812. — Amitié perpétuelle avec la Russie, disait-il naguère, avec la Russie, protectrice naturelle de la Suède, et en qui réside le génie du bien, de la conservation, de la stabilité ; abandon définitif de la Finlande et même des provinces suédoises de la Baltique, parce que leur possession n’a jamais servi qu’à entraîner la Suède dans les guerres continentales, à son grand détriment ; actuellement toutefois, glorieuse participation à l’insurrection générale de l’Europe contre son oppresseur ; union avec l’Allemagne, qui, animée d’une seule et même pensée, serait assurément victorieuse ; délivrance du continent, dévouement aux

  1. Lettre datée de Wenersborg,1er mai 1813. M. Bergmann la donne en entier dans les pièces justificatives de son VIIe volume.