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de cet illustre capitaine, je préférai votre alliance. » Après Leipzig, on l’entendit reprocher à des officiers français d’avoir choisi un Corse pour régner sur eux, comme s’il ne s’était pas trouvé d’autres généraux dans la république. Le 19 mars 1814, il écrivait qu’il se livrait entièrement aux événemens, et que si le sort ouvrait des circonstances qui le missent à même de servir encore utilement l’Europe et la France, aucun sacrifice ne lui coûterait : il serait heureux de pouvoir justifier les espérances qu’on disait fondées sur lui. Enfin la correspondance de nos ministres en Suède accuse plus d’une fois l’opinion que Bernadotte eût volontiers laissé, de son vivant même, la couronne suédoise à son fils Oscar, pour aller fournir autre part une carrière plus brillante. On y voit même exprimer cet avis que Charles-Jean, dans la seconde moitié de son règne, faisait à la révolution de 1830, secrètement peut-être, un reproche analogue à celui qu’il adressait en 1813 aux prisonniers français.

La vraie récompense que Bernadotte attendait de la coalition, celle qu’il avait stipulée formellement comme condition de son alliance, c’était la réunion de la Norvège à la Suède. Voilà le prix qu’il ne voulait pas laisser échapper, et qu’il s’impatientait de ne pas tenir déjà. La réunion de la Norvège, avons-nous dit précédemment[1], était une des bases de la politique suédoise de 1812. Compenser la perte de la Finlande, dont Bernadotte n’était pas coupable, par une importante acquisition, pour laquelle la nation suédoise serait reconnaissante envers la nouvelle dynastie, affranchir ainsi complètement la Suède de toute complication d’intérêts avec sa redoutable voisine la Russie, acheter d’ailleurs de la sorte l’éternelle amitié de cette puissance, en la délivrant de toute inquiétude sur la Finlande en même temps qu’on fortifierait la Suède, devenue par un tel agrandissement puissance maritime du premier ordre, renoncer même au misérable reste des provinces de la Baltique afin de ne plus être, comme jadis, entraîné dans les guerres interminables du continent, voilà la théorie de cette politique, voilà du moins celle que Bernadotte publia plus tard à haute voix, après coup, lorsque les événemens furent accomplis. Il est impossible en effet d’admettre qu’il n’ait espéré retirer de sa coopération avec la Russie d’autres fruits que l’établissement de sa dynastie, si complètement acceptée des Suédois dès l’origine, et cette réunion illusoire de la Norvège telle qu’elle s’est accomplie. Il est facile de démontrer que la Russie a finalement trompé et Bernadotte et la nation suédoise, que la Russie a disputé longtemps le prix convenu du marché conclu à Abo, que la récompense s’est

  1. Voyez la livraison du 1er novembre 1855.