Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/734

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se borner à renverser par les armes la domination française : il était nécessaire de relever les principes du droit éternel et de détruire les fausses maximes qui ont rompu tous les rapports sociaux. En un mot, il fallait, par un gouvernement durable, raffermir la moralité des peuples. Ici Bernadotte avait ajouté de sa main : « On n’y réussira qu’en donnant à l’Allemagne une constitution qui protège les peuples contre l’oppression des rois, et qui donne au souverain chef de l’empire une puissance matérielle et morale capable de maintenir l’équilibre parmi les états confédérés en même temps que de les défendre contre toute agression étrangère. Il ne faut donc pas songer à rétablir l’ancienne constitution, qui a cessé d’exister par la paix de Campo-Formio et par celle de Lunéville. » Le mémoire continuait : « L’Autriche doit avoir sa place dans la confédération nouvelle ; elle s’affranchira, dès qu’il lui sera possible, des liens qui l’enchaînent aujourd’hui. Si la couronne impériale n’est pas décernée à l’empereur d’Autriche, on examinera s’il ne faut pas l’offrir à l’empereur Alexandre ou bien au prince régent d’Angleterre. Dans le cas où ces princes ne pourraient accepter cette nouvelle dignité à cause des couronnes, déjà lourdes, qui pèsent sur leurs têtes, le commandant en chef de l’armée combinée devra continuer d’exercer le pouvoir de président, en constituant la ligue en conseil de dictature germanique jusqu’à ce que la constitution générale ait été élaborée et approuvée par les cours alliées. » Telles étaient les propositions de Bernadotte aux puissances confédérées. Il faut reconnaître qu’elles présentaient à son ambition de magnifiques ouvertures. La Russie ne manqua pas de les approuver tout d’abord ; elles échouèrent ensuite contre les vues contraires du cabinet anglais et contre les dispositions du baron de Stein, particulièrement défavorables à une intervention suédoise dans les affaires intérieures de l’Allemagne[1].

Il y avait cependant un bien autre appât que l’empereur de Russie offrait à l’esprit de Bernadotte dès ses premiers rapports avec lui. On se rappelle que, lors de l’entrevue d’Abo, Alexandre avait répondu à la proposition d’une diversion que Bernadotte pourrait tenter par les côtes de Bretagne jusqu’au cœur même de la France par l’offre de quatre cent mille auxiliaires et ces mots bien faits pour séduire son imagination : « Soyez persuadé que je verrai avec plaisir les destinées de la France entre vos mains. » Dans le mémoire du cabinet de Saint-Pétersbourg sur l’Allemagne, dont nous avons parlé, Bernadotte avait pu lire aussi ces paroles : « La France, après qu’on l’aura délivrée de ces funestes conquêtes qui n’ont fait que resserrer

  1. Voyez sur le baron de Stein un intéressant article de M. Saint-René Taillandier dans la Revue des Deux Mondes du 15 novembre 1852.