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de l’Europe. La gloire d’un Gustave-Adolphe, tel était donc le premier résultat vers lequel devaient s’élever les espérances de Bernadotte. Gustave-Adolphe avait été interrompu dans son éclatante carrière par une mort imprévue ; peut-être sans elle eût-il réformé la constitution de l’Allemagne, que ses armes avaient affranchie de la maison d’Autriche, et peut-être eût-il, pour prix de ses travaux, ceint la couronne impériale. Pour des services plus grands encore, Bernadotte ne pouvait-il au moins espérer que l’Allemagne reconstituée par les victoires de la coalition, dont il serait la tête et le bras, et voulant trouver enfin quelque unité, reconnaîtrait l’hégémonie de la Suède ?

M. Bergmann, dont nous avons souvent cité les curieux mémoires récemment publiés à Stockholm, a fait connaître certains papiers de Bernadotte qui trahissent évidemment cette pensée, suggérée en premier lieu par la Russie. Dès le mois d’octobre 1812, le prince royal avait reçu du cabinet de Saint-Pétersbourg une pièce intitulée Mémoire sur l’état de l’Allemagne et sur les moyens d’y former une insurrection nationale, dans laquelle on jetait les bases d’une nouvelle ligue hanséatique bien plus vaste que celle du moyen âge, et comprenant toute l’Allemagne du nord. Le prince royal en serait nommé chef et protecteur suprême ; cette dignité lui serait confirmée par un congrès européen.

Cela ne suffisait sans doute pas à Bernadotte ; il présenta lui-même aux chefs de la coalition un mémoire qui ouvrait un champ plus vaste à ses espérances. À la place de la confédération du Rhin, immédiatement dissoute, ce mémoire instituait une ligue germanique, composée de tous les princes et de tous les peuples allemands ; les cabinets de Londres, de Saint-Pétersbourg et de Stockholm auraient à décider si le prince qui avait donné le premier exemple de la défection ne méritait pas d’avoir son rang parmi les membres confédérés[1]. Les villes qui se déclareraient en faveur de la ligue malgré le refus ou les hésitations de leurs souverains obtiendraient les privilèges des villes impériales. Pour donner à la ligue un ascendant moral indépendant de la force des armes, on proposait que le roi de Suède comme duc de Poméranie, le roi d’Angleterre comme prince électeur de Hanovre, le duc de Brunswick, etc., y fussent immédiatement admis. Une diète provisoire, formée des députés des différens états de l’Allemagne, fixerait les contingens à fournir, réglerait l’administration des états nouvellement conquis, et le président de cette diète serait nécessairement le général en chef de l’armée alliée. — Mais il ne fallait pas

  1. Cette dernière phrase est ajoutée de la main même de Bernadotte sur l’exemplaire conservé dans la collection de M. Schinkel, où M. Bergmann a puisé ses renseignemens.