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de la nature. Voyez, dans les Feuilles d’Automne, de M. Victor Hugo, la pièce intitulée : Ce qu’on entend sur la montagne. Il y a beaucoup de la mélancolie préméditée des poètes de nos jours, mais il y a partout l’opposition ou le mélange de l’homme et de la nature. Le poète sur la montagne, en face de la mer, qu’il décrit en vers souvent admirables, le poète entend deux voix :

Frères, de ces deux voix étranges, inouies,
Sans cesse renaissant, sans cesse évanouies,
Qu’écoute l’Éternel durant l’éternité,
L’une disait nature ! et l’autre humanité !

Assurément j’aimerais mieux, pour mon goût particulier, que la nature et l’humanité eussent des traits plus distincts que ceux que leur donne le poète, j’aimerais mieux que la nature fût la campagne celle d’Horace ou celle de Rousseau, celle que mon œil peut embrasser, ou celle qu’aiment mes souvenirs d’enfance. J’aimerais mieux aussi que l’humanité fût un homme, vous ou moi, avec un cœur qui fût à vous ou à moi, et non à tout le monde, avec une pensée qui créât et qui distinguât ma personne. Je me défie de l’humanité, parce que je ne crois pas qu’elle ait une âme qui la constitue, et quoi qu’en dise le poète, je suis plus sûr d’être devant Dieu avec mon âme individuelle, toute petite et toute faible qu’elle est, que je ne suis sûr que l’humanité existe devant Dieu. Dieu n’a pas besoin d’abstraire et de généraliser ; il voit tout en même temps. Mais après ces réserves, revenant à mon idée principale, c’est-à-dire à la supériorité de la poésie descriptive du XIXe siècle sur celle du XVIIIe, cette supériorité vient, selon moi, du perpétuel et heureux mélange de la peinture des choses et de l’expression des sentimens humains. Les poètes de nos jours ont mêlé la poésie lyrique à la poésie descriptive, et ils ont admirablement relevé l’une par l’autre. La description en effet ne languit plus, étant animée par l’émotion du poète, et les sentimens du poète lyrique ne risquent pas non plus de tomber dans le caprice ou la fantaisie, étant à leur tour vivifiés par le spectacle de la nature :

Enivrez-vous de tout (dit encore M. Hugo), enivrez-vous, poètes,
Des gazons, des ruisseaux, des feuilles inquiètes,
Du voyageur de nuit dont on entend la voix,
De ces premières fleurs dont février s’étonne,
Des eaux, de l’air, des prés et du bruit monotone
Que font les chariots qui passent dans les bois.

Voilà la description brillante, pleine d’images, et qui peut-être même en a trop. Vient maintenant le précepte de ne point laisser