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colporteur ? Il cherche la popularité ! — Non, il cherche la justice ! — Et quand Malesherbes défendait Louis XVI, les courtisans du peuple disaient aussi : Que nous veut cet homme avec son roi ? Il cherche l’estime des émigrés ! — Non, il cherche la justice ! Ah ! s’il n’avait pas défendu le colporteur, je lui saurais peut-être moins de gré de défendre le roi. Il pourrait n’être qu’un serviteur fidèle et persévérant de la royauté, cela serait beau encore, mais cela serait moins beau qu’un dévouement qui est toujours en sens contraire de la fortune, et qui s’attache non à un homme, mais à un principe, non à une cause, mais à la justice. Et de même, s’il n’avait pas défendu le roi, je pourrais croire qu’en défendant le colporteur, Malesherbes cherchait la popularité, ou bien encore que c’était un philosophe qui servait son parti. L’avocat du roi témoigne de la sincérité de l’avocat du colporteur, et l’avocat du colporteur témoigne de la liberté d’esprit et de la fermeté de conscience de l’avocat du roi. À Bicêtre comme au Temple, la justice était également outragée, et c’est là ce qui soulevait la conscience de Malesherbes[1]. Non que je veuille dire que Malesherbes n’ait été au Temple que par amour de la justice, il y a été par amour du roi. Ne faisons pas de ce bon et grand homme une statue de justice et d’équité impassible. Il aimait le roi, il aimait le martyr qu’il pleurait et défendait. La bonté et la tendresse ne manquaient pas à cette âme courageuse et à cet esprit élevé. Il aimait sa famille, ses enfans, ses amis, son roi. Il n’avait rien du magistrat guindé, rien du philosophe gourmé ; il était simple, gai, dispos, ouvert, presque gaillard, et un de ceux qui dans leur jeunesse ont vu M. de Malesherbes me disait qu’il se souvenait d’avoir dansé une ronde avec lui à la campagne, dans une fête de famille. Il n’y avait donc en lui rien qui sentît l’apprêt et le cérémonial. Il pensait que la dignité n’est point dans la raideur, et loin que cette bonhomie de M. de Malesherbes me gâte sa noble figure, elle l’achève et la complète. J’aime que le martyr ait été gai et d’humeur douce et facile, qu’il soit pour ainsi dire un d’entre nous, et qu’il se soit élevé jusqu’au dévouement par l’essor naturel de ses bons sentimens, sans qu’il y ait rien dans sa vertu qui décourage l’humanité à force de la surpasser ; j’aime surtout que cet homme aimable et gai ait su devenir un martyr, montrant par là que sa gaieté n’était ni de la légèreté ni de l’insouciance, de même que j’aime aussi que le philosophe libéral et l’ami de Rousseau ait défendu le roi, montrant par là à tout le monde qu’il n’y avait dans son amour de la liberté ni fanatisme philosophique ni calcul ambitieux ou vaniteux.

À ces qualités de M. de Malesherbes, il en manque une dernière :

  1. « Vaviata sunt tempora, non fides. » (Saint Augustin, sur le psaume 50.)