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j’annonce ne peut pas être prochain. Celui qui l’assurerait me paraîtrait bien téméraire. Quoi qu’il en soit, ce pourrait être une consolation pour un homme de mon âge, mais non pour le roi[1]. »

Qu’est-ce que la prophétie en politique, si ces paroles n’en sont pas une ? En politique malheureusement la difficulté n’est pas d’avoir des prophètes, c’est d’y croire à temps, pas plus tôt qu’il ne faut, ce qui serait appliquer le remède avant le mal, pas plus tard, ce qui serait l’appliquer après. Tout se prévoit et tout se prédit. Je ne connais pas un grand événement qui n’ait eu mille et un prophètes. La révolution de 1848 et le coup d’état du 2 décembre 1851 avaient été souvent prédits. Rien n’est donc si ordinaire en ce monde que les prophètes et les prophéties. Le mérite est la coïncidence de la prophétie et de l’événement, c’est-à-dire l’à-propos. Tout est là, Je ne veux pas tomber dans la banalité, mais je dirais volontiers qu’il n’y a de prophéties que celles qui s’accomplissent à courte échéance : ce sont celles-là seulement qu’il eût fallu croire ; les autres courent les rues, et j’en fais fi. La sagesse humaine en effet n’est pas si courte qu’elle en a l’air ; elle prévoit et prédit beaucoup. Ce qui la trompe et ce qui la rend inutile, c’est l’ignorance des momens. En 1787, Malesherbes avait cette connaissance des momens, et c’est là ce qui fait une prophétie de ses paroles.

Je ne veux pas quitter l’histoire de cette prophétie sans raconter une anecdote. Au Temple, en 1793, c’est-à-dire six ans après, Louis XVI repassant dans sa pensée les événemens de son règne, le souvenir de ce mémoire de M. de Malesherbes lui revint à l’esprit, et comme le noble vieillard s’était fait déjà son avocat, et venait tous les matins conférer avec lui, il lui parla de ce mémoire et lui témoigna le désir de le relire. M. de Malesherbes, qui prévoyait les regrets que cette lecture allait causer au roi, s’efforça de le détourner de cette idée. Louis XVI insista ; M. de Malesherbes apporta ce mémoire au roi, qui le lut, et quand le lendemain M. de Malesherbes revint au Temple, le roi le contempla pendant quelque temps avec attendrissement sans lui rien dire, ferma la porte du cabinet où il le recevait, et se jeta dans ses bras en le mouillant de ses larmes.

C’est au Temple, et comme avocat de Louis XVI à la convention, que Malesherbes est vraiment grand et héroïque. Quelle lettre pour demander à défendre le roi ! quelle simplicité dans le dévouement ! « J’ignore si la convention, écrit-il au président de l’assemblée, donnera un conseil à Louis XVI pour le défendre, et si elle lui en laissera le choix. Dans ce cas-là, je désire que Louis XVI sache que s’il

  1. Boissy d’Anglas, t. II, p. 83, etc.