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avec lui quelques-unes des libertés qu’il prenait avec le public, sachant bien qu’ils ne seraient ni plus ni moins reniés pour le faux que pour le vrai, et que surtout le public n’en croirait rien. Dans ces cas-là, Voltaire devenait éloquent, d’abord parce qu’il disait vrai et de plus parce qu’il avait peur des périls que lui créait son imprudence ou la cupidité d’autrui. « On a persuadé au roi, dit-il encore dans une de ses lettres à M. de Malesherbes, que cette indigne édition était mon ouvrage et que j’avais du moins connivé à sa publication. Quoique le contraire soit démontré, je suis perdu sans ressource, car je sais bien que les plaies faites par la calomnie sont incurables ; mais le cri de mon innocence, la seule consolation qui me reste, n’en sera que plus fort. Je vous conjure, monsieur, de prêter à ce cri douloureux votre voix bienfaisante. Certainement on ne vous demandera pas des nouvelles de cette affaire. Quand la calomnie a été aux oreilles des rois, elle se repose dans leur cœur, et on ne va point aux informations, s’il ne se trouve pas une âme, comme la vôtre, courageuse dans sa pitié, qui prenne sur elle le soin généreux de dire et de faire dire au roi combien je suis innocent et calomnié[1]. »

Malesherbes ne se contentait pas de protéger ces doctrines de justice et de liberté qui plaisaient à son âme généreuse ; il les défendait lui-même au besoin, et il n’hésita pas, au nom de la cour des aides qu’il présidait, à réclamer la liberté d’un obscur colporteur arrêté par les commis des fermes, innocent du délit qu’on lui imputait et jeté dans les cachots de Bicêtre pour étouffer sa plainte. Dans ses remontrances, Malesherbes ne plaidait pas seulement la cause d’un innocent, il plaidait pour la liberté individuelle contre les lettres de cachet, et c’est alors qu’il fit entendre ces belles paroles qui sont restées célèbres et qui méritent de n’être jamais oubliées, parce qu’elles expriment de la manière la plus vive les inconvéniens attachés au despotisme, aussi à craindre par ses abus que par son principe : « Avec les lettres de cachet employées et multipliées comme elles le sont, sire, aucun citoyen n’est assuré de ne pas voir sa liberté sacrifiée à une vengeance, car personne n’est assez grand pour être à l’abri de la haine d’un ministre ni assez petit pour n’être pas digne de celle d’un commis des fermes. »

La destruction des parlemens et de la cour des aides ôta à M. de Malesherbes la tribune politique, où il faisait retentir les maximes qui lui étaient chères ; mais il reprit la parole quand Louis XVI, en montant sur le trône, rappela les parlemens. Il continua à défendre les principes de justice et de liberté qu’il voulait appliquer dans l’administration. Une de ses plus belles remontrances, j’allais

  1. 28 février 1754.