gouvernement pouvait aisément gêner la presse sincère et honnête, mais qu’il ne pouvait pas arrêter la presse clandestine. Les gouvernemens peuvent beaucoup contre le bien et peu contre le mal, parce que le bien se montre et donne prise sur lui, tandis que le mal se cache et se dérobe. « Ce qui me détermine, dit M. de Malesherbes dans un de ses mémoires sur la librairie, à proposer sur les livres jansénistes le parti de la tolérance, est l’impossibilité d’en prendre un autre. On se plaint de la police qui laisse paraître toutes sortes de livres, et on ne songe pas que dans tous les temps les mêmes abus ont régné… Il n’y a encore eu aucun ministère qui ait pu contenir les auteurs ni se rendre maître de la presse, et cela devient tous les jours plus difficile dans un siècle où tout le monde, jusqu’aux paysans, sait lire et où chacun se pique de savoir penser. »
Ayant à choisir entre la presse honnête et la presse clandestine, Malesherbes favorisait la première, afin de décourager et de discréditer la seconde. Dans cette faveur même, il avait ses préférences. Ainsi il préférait Rousseau à Voltaire, et je ne lui en fais pas un reproche ; il corrigeait lui-même les épreuves de l’Émile, et il restait froid aux supplications que Voltaire lui faisait contre les éditions subreptices et souvent interpolées de ses ouvrages[1]. Voltaire voulait avoir deux sortes d’éditions : l’une permise et où l’auteur se contenait et se modérait à dessein, l’autre clandestine et où il donnait libre carrière à ses opinions et même à ses caprices ; l’une faite en France et pour la France, l’autre faite en Hollande ; l’une plus honnête, l’autre plus curieuse. Cependant il ne pouvait pas toujours mener de front ces deux sortes de publications, sans que l’une heurtât l’autre. Tantôt l’édition curieuse devançait l’édition honnête, tantôt même elle s’y mêlait. Voltaire alors ne manquait pas de désavouer l’édition curieuse. C’était, disait-il, un valet qui avait dérobé son manuscrit ; c’était un libraire qui avait acheté ce manuscrit informe et l’avait fait arranger par quelque barbouilleur de papier ; mais personne n’était la dupe de ces désaveux. « Je sais bien qu’on a dit au roi ainsi qu’à Mme de Pompadour, dit Voltaire dans une de ses lettres à M. de Malesherbes, que je n’étais pas si fâché de cette édition que je le paraissais[2]. » Parfois pourtant Voltaire disait vrai, en répudiant telle ou telle édition tronquée et défigurée ; car, habitués à être désavoués, même quand ils publiaient exactement les ouvrages de Voltaire, les libraires avaient fini par prendre