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famille, toujours unie et toujours dévouée, se pressât pour mourir avec lui sur l’échafaud de 93, où l’accompagnèrent sa fille, son gendre, sa petite-fille et son petit-gendre, immolés tous le même jour.

Ce fut pendant que son père était chancelier que Malesherbes fut chargé de la direction de la librairie de 1750 à 1768. Il était en même temps président de la cour des aides. Cette époque est fort importante dans l’histoire littéraire et politique du XVIIIe siècle, car c’est à ce moment que l’esprit philosophique prit son ascendant dans la littérature et dans le monde ; c’est aussi de 1750 à 1768 que Rousseau publia tous ses grands ouvrages. Les personnes qui croient naïvement que les gouvernemens peuvent régler la marche et les mouvemens de la pensée publique seront disposées à penser que Malesherbes a beaucoup aidé aux progrès et au triomphe de l’esprit philosophique en France, et les unes le béniront de la part qu’il a prise à ce triomphe, les autres l’en maudiront. Quant à moi, qui ne crois pas que Malesherbes, comme directeur de la librairie de 1750 à 1768, eût pu arrêter la marche de l’esprit public s’il l’eût voulu, je ne crois pas non plus qu’il ait beaucoup fait pour en hâter le triomphe. Les gouvernemens n’ont de puissance sur la marche des idées que quand les esprits sont faibles et irrésolus, ou divisés et las. Alors l’administration peut aisément brider un char et un attelage qui ne veulent pas s’emporter ; elle peut aisément conduire l’opinion publique et la littérature. Au XVIIIe siècle, les esprits n’étaient ni timides par faiblesse ni soumis par lassitude. Ils étaient ardens, pleins d’espérances et d’illusions. Le gouvernement le plus fort n’eût pu les maîtriser. La presse clandestine en France et la presse de contrebande en Hollande et en Suisse eussent rompu toutes les barrières. Le gouvernement aurait pu être tyrannique, il n’aurait pas été puissant. Que fallait-il donc que fît alors un directeur de la librairie ? Ce que fit Malesherbes, c’est-à-dire qu’il fût tolérant et même complaisant pour les livres honnêtes, pour les sentimens sincères, pour les idées qui semblaient vraies, quoiqu’en même temps elles parussent hardies, qu’il ne s’effrayât pas d’un peu d’audace et même de raideur, qu’il réservât sa sévérité contre les libelles calomnieux, contre l’esprit de faction, contre la littérature obscène, contre la philosophie de l’athéisme. Ce qu’un directeur de la librairie aurait dû faire alors par prudence, Malesherbes le fit par conviction et de bonne foi. Il aimait ces principes de liberté, d’égalité, de justice, que les écrivains du XVIIIe siècle proclamaient avec zèle et même avec emphase, il croyait qu’il serait bon de les appliquer dans le gouvernement, dans les lois, dans l’administration, et il pensait que c’était le droit et le devoir des écrivains de réclamer cette application. « Je félicite ma patrie, dit-il dans son discours