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d’ouvrages sur l’Italie, la Suisse, les bords du Rhin, auxquels a donné lieu ce système, aujourd’hui en faveur, de publications illustrées, il s’en rencontre parfois encore de très sérieusement composés, et qui, sans médire du luxe des vignettes, de la beauté des gravures et de la richesse typographique du format, eussent été tout à fait capables de se suffire à eux-mêmes. Chose difficile cependant que d’écrire un livre de ce genre et de savoir le rendre intéressant ! Parler de l’Italie tout à son aise est, j’en conviens, une tâche qui doit séduire ; mais tant de gens sont venus avant nous pour l’accomplir ! A travers ses colysées et ses basiliques, ses palais de marbre et ses campi santi, ses musées et ses lagunes, tant d’esprits curieux se sont promenés, évoquant la chronique ou la légende, qu’il semble que désormais tout soit dit là-dessus, et que s’il n’est pas de sujet plus beau que Rome, Florence et Venise, il n’en est pas également qui soit plus épuisé. Comment se comporter en outre ? Pour quel style se décider ? Fera-t-on un ouvrage de tendance politique ou religieuse, comme tel auteur qui déclarait dans sa préface qu’il n’écrivait que pour les voyageurs catholiques ? Écrira-t-on pour ceux qui voyagent ou pour ceux qui restent chez eux ? Sera-t-on anecdotique ou critique ? Est-ce à l’ombre d’Yorick ou simplement au guide des touristes qu’on demandera des inspirations ? Questions difficiles, et qui rendraient vraisemblablement impossible toute œuvre de ce genre, si l’auteur se les posait au moment de prendre la plume ! J’imagine que M. Paul de Musset n’y a point mis tant de recherche ; il se sera tout simplement dit que la plupart des ouvrages qui se publient en ce temps sur l’Italie sont pleins de préjugés et d’allégations routinières. Durant un de ses longs séjours à Venise ou à Florence, il aura entendu cette société, qui lui est à bon droit si sympathique, se plaindre de ce que tant de gens se donnent les airs de parler de l’Italie sans la connaître, et la plainte lui aura paru si légitime, qu’il se sera empressé d’y faire droit. Personne du reste, on peut le dire, n’avait plus qualité pour un pareil sujet. M. de Musset ne se contente pas de savoir l’Italie, il l’aime avec tendresse, et cette prédilection donne à sa manière d’en parler un tour sincère qui nous charme. Beyle, avec moins de goût et de style, a plus de fougue, de passion, d’originalité dans sa façon de sentir les arts et d’en discourir ; mais Beyle est trop l’homme d’une idée et d’un artiste. En dehors de Corrège, de Cimarosa et de Canova, les émotions que lui donnent la peinture, la musique et la statuaire sont peu de chose. Or, dans un ouvrage tel que celui que M. Paul de Musset se proposait d’écrire, la passion et le feu sacré ne suffisent pas ; il y faut encore beaucoup d’informations et de méthode, de critique et de style, et, sans avoir pris parti pour aucune des diverses questions que je soulevais tout à l’heure, il pourrait bien se faire que M. de Musset les eût résolues toutes, en composant sur l’Italie le vrai livre qu’il y avait à écrire, un livre tout rempli d’études et d’observations de mœurs, de sévères récits, d’historiettes et d’utiles renseignemens, où le voyageur trouvera son compte aussi bien que le simple lecteur, et qui vous attache et vous tient en haleine comme la conversation d’un homme d’esprit et d’un galant homme.

H. Blaze.

V. de Mars.