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mêlé au sang vigoureux d’un conquérant. Ces vicissitudes doivent tempérer les faciles enthousiasmes ; aussi est-ce dans un langage sérieux et ferme que le chef de l’état a parlé de ces coups du sort ; il a rappelé l’histoire pour y puiser un meilleur espoir, en apprenant qu’il ne faut jamais abuser des faveurs de la fortune, et qu’une dynastie n’a de chance de stabilité que si elle reste fidèle à son origine. Le président du corps législatif a donné, sous une autre forme, la raison d’une espérance meilleure, en disant que, parmi les héritiers anciens du trône, les uns ont été emportés par la révolution intérieure, un autre par la coalition étrangère, et que ces dangers se trouvent aujourd’hui conjurés. On peut certes trouver la le germe de bien des considérations politiques, qui viennent se grouper naturellement autour de ce berceau où dort l’héritier du nouvel empire. La paix, par une combinaison favorable, coïncide avec la naissance de ce prince ; mais la paix n’a-t-elle point aussi ses conséquences, dont l’une, est ce « règne paisible d’une sage liberté » dont parlait l’autre jour l’empereur en répondant, à l’allocution du président du conseil d’état ? Les lois pacifient un pays, et c’est la liberté, assainie par un sentiment moral vigoureux, qui assure l’empire durable des lois. Dans un temps comme le nôtre, où les intérêts tendent à tout envahir, c’est presque une nécessité d’existence de contrebalancer sans cesse cet immense mouvement des choses matérielles par l’énergie des âmes et des esprits, ramenés à tous les cultes sévères et libres de la pensée. Il est dans la destinée des lettres de toucher à la politique par bien des côtés. Pour elles aussi, il y a les changemens qui s’accomplissent, les générations qui passent, les évolutions des idées ou des talens. C’est un des caractères de notre temps que cette rapidité effrayante avec laquelle on vit par l’intelligence et l’imagination comme dans la réalité. Les hommes eux-mêmes finissent par s’étonner du chemin qu’ils ont fait, de la distance qui les sépare de leur passé, et ne se reconnaissent plus dans cette route, où ils ont commencé par les espérances indéfinies pour aboutir aux déceptions les plus extrêmes. Où sont donc les jours où M. de Lamartine entrait dans la vie littéraire et dans la renommée, tenant dans ses mains un petit livre de vers, qui ne portait pas même de nom, inscrit sous ce simple titre de Méditations ? Sans le savoir peut-être, comme il arrive à toutes les natures spontanées et fécondes, M. de Lamartine créait du premier coup une poésie. Ce fut une révélation véritable qui date déjà de plus de trente ans. Aujourd’hui, d’une main à la fois négligente et pressée, d’un esprit prolixe et morose, l’auteur des Méditations laisse échapper des pages qui ne se comptent plus. Tantôt il découpe l’histoire de tous les temps et de tous les pays en fragmens harmonieux, tantôt il se répand dans les journaux, tantôt enfin, comme en ce moment encore, il publie un Cours de Littérature qu’il adresse à ses amis et à ses ennemis, s’il en a, ce qui est douteux. C’est la dernière œuvre de M. de Lamartine : testament étrange d’un homme se survivant à lui-même et déclarant sans détour que tout ce qu’il fait désormais, c’est par besoin, par nécessité, pour avoir le pain et l’abri de chaque jour. M. de Lamartine semble croire que ses contemporains mettent une sorte de joie cruelle à lui reprocher les précipitations de son esprit, les prodigalités de sa plume, qu’ils lui marchandent la publicité, l’air de notre temps, comme les Samiens marchandaient à Homère l’air et les sentiers de leur île. Ceux qui