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se rattachent les souvenirs populaires de Suvarov. À tort ou à raison, c’est à l’Autriche que la Russie attribue la pensée de cette rectification de ses limites sur les bords du Danube. En dehors de cette concession les objets qui semblent avoir provoqué les plus sérieuses délibérations du congrès, et avoir suscité même quelque embarras dans les négociations, sont les réformes en faveur des chrétiens de l’empire ottoman et la réorganisation des principautés. Il se présentait ici en effet une question grave : les réformes récemment promulguées en Turquie seraient-elles annexées au traité général, prenant ainsi toute la force d’un engagement diplomatique, ou conserveraient-elles le caractère d’un acte libre et spontané émané de l’autorité du sultan ? Séparer ces réformes de l’acte collectif de la paix, pouvait-on dire, c’était leur enlever la garantie nécessaire d’une action de l’Europe, toujours attentive et toujours présente. Les comprendre au contraire dans le traité général, c’était déroger au principe admis dès l’origine par les puissances occidentales, et qui consiste à provoquer toutes les améliorations désirables dans le sort des populations chrétiennes par l’action souveraine et indépendante de la Porte. C’est entre ces difficultés de diverse nature qu’une transaction a dû se faire jour. Quant aux principautés, différens systèmes se présentaient également. Les provinces danubiennes seraient-elles réunies en un seul état indépendant et neutre, ou bien conserveraient-elles, sous la souveraineté plus nominale que réelle de la Porte, leur situation ancienne, améliorée et dégagée de tout protectorat russe ? Un plan débattu à Constantinople maintient, à beaucoup d’égards, l’état actuel. Un certain nombre d’habitans des principautés ont demandé de leur côté la réunion, comme la consécration de l’autonomie complète des provinces roumaines et comme un premier pas vers une régénération politique et morale. Joignez à ceci le mouvement des ambitions personnelles, les candidatures au trône de cet état futur ! En présence de ces prétentions contraires, qui ont pu provoquer quelque divergence de vues, il est vraisemblable que la réorganisation des principautés et les réformes en faveur des populations chrétiennes restent deux affaires en réserve. Toujours est-il que ce sont des questions résolues en principe, tranchées par la paix, et dont la solution pratique peut seule être l’objet de délibérations nouvelles. Tout ce qui suivra ne peut être que la déduction de l’acte souverain qui vient de s’accomplir, et les armées alliées n’auront point eu sans doute le temps de quitter l’Orient avant que quelques-unes des conséquences les plus essentielles de la dernière guerre n’aient commencé à devenir une réalité.

Maintenant l’intervention de la Prusse à la dernière heure n’a-t-elle point été un des faits caractéristiques de la négociation qui s’achève ? n’a-t-elle pas même été une des difficultés des dernières délibérations ? C’est du moins ce qui semble résulter de faits jusqu’ici plus soupçonnés, il est vrai, que connus. La Prusse, cela est bien clair, a eu jusqu’à la fin une position anormale, aussi singulière que sa politique. Elle ne pouvait signer un traité de paix, puisqu’elle n’avait point été belligérante, puisqu’elle avait fait au contraire tous ses efforts pour ne point l’être. L’Autriche, à la vérité, n’était point sous ce rapport dans des conditions différentes ; mais l’Autriche était l’alliée des puissances occidentales dans leur lutte contre la Russie, elle avait contracté des engagemens. Sa position dès-lors était simple, naturelle et légitime,