aux portes et répandant partout l’alarme. Nous sommes certain de ne pas nous tromper en affirmant que dans maintes circonstances la tactique imprudente des libres échangistes a embarrassé les divers gouvernemens qui se sont succédé de 1830 à 1852 et que souvent des mesures utiles ont été ajournées en présence de l’agitation excitée dans les grands centres industriels par les bulletins du libre-échange. Dans un pays comme le nôtre, il ne suffit pas d’avoir raison ; il faut avoir l’opinion pour soi, et les gouvernemens constitutionnels sont condamnés, sinon à respecter, du moins à subir dans certains cas les préjugés du plus grand nombre. Le gouvernement actuel a les coudées plus franches ; il n’est pas démontré cependant que la polémique à laquelle nous faisons allusion ne lui suscite pas des embarras analogues à ceux dont nous parlions tout à l’heure. Or, quelques égards que mérite la science économique, on aura toujours plus à cœur de ne point heurter les vœux d’un parti influent dans le pays, de rassurer le capital s’il s’inquiète trop vivement, et de maintenir la paix du travail.
Sans nul doute, les manufacturiers qui ont joui jusqu’ici des bénéfices de la protection se montrent très opiniâtres et, si l’on veut, très entêtés dans la défense de leurs intérêts. Il en a été de même en Angleterre lorsque furent proposées les réformes de Huskisson et de Robert Peel ; il en sera toujours et partout ainsi. Le fabricant protégé considère presque comme une offense personnelle la menace d’une réduction de tarif ; il semblerait que l’on veut attenter à sa propriété, et alors il devient comme l’animal de la fable : quand on l’attaque, il se défend. Cependant on comprend que la lutte engagée sur ce terrain doive singulièrement s’envenimer, lorsque les deux partis, non contens de combattre les principes, s’en prennent aux personnes, et s’appliquent à déconsidérer aux yeux de l’opinion publique le caractère de leurs adversaires. Que de fois n’avons-nous pas lu dans les écrits des libres échangistes que certaines classes d’industriels ne vivaient que de monopole et ne s’enrichissaient qu’à l’aide d’un prélèvement illicite et immoral sur la bourse des consommateurs ! Est-ce que les bénéfices acquis dans l’industrie ne sont pas aussi légitimes que tous autres, lorsqu’ils résultent d’une combinaison de tarifs établis à tort ou à raison par la loi ? On crie au monopole ; mais le droit de filer et de tisser du coton, d’extraire de la houille, de battre le fer n’est-il concédé qu’à un petit nombre de privilégiés formant une caste dans la nation ? Ce droit n’appartient-il pas à tout le monde ? Chaque citoyen n’est-il pas libre de faire valoir son intelligence et ses capitaux dans ces riches domaines de la protection ? Nous pouvons devenir actionnaires pour l’exploitation d’une mine de houille, d’un haut-fourneau, d’une filature, et nous n’aurons pas à rougir le moins du monde en touchant nos dividendes, s’il y en a serions-nous bien aises que l’on fit payer à notre réputation le procès intenté à la loi, et que l’on nous appliquât par jugement sommaire les épithètes d’accapareurs et de monopoleurs ? Cela n’est pas dangereux, grâce au bon sens public ; mais c’est au moins fort ennuyeux, et l’on conçoit que des industriels qui se voient traités de la sorte s’indignent, s’irritent et s’obstinent de plus en plus dans leur opinion. Aussi prennent-ils largement leur revanche, et si nous avons cru devoir regretter les écarts de polémique auxquels se sont livrés les écrivains du libre-échange, il est juste