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condamne les échanges entre les peuples ? Assurément non. Il est aisé de multiplier les preuves pour démontrer que le système de protection n’exclut point le libéralisme, et qu’il se plie parfaitement aux idées de rapprochemens, d’alliances, de communications internationales, qui constituent le trait le plus saillant de la politique moderne. L’histoire des dernières années atteste qu’il a fait de grands progrès dans cette voie.

Prenons pour exemple l’Allemagne. Frédéric List, qui a exposé avec beaucoup de talent la théorie de la protection, était Allemand. Par ses écrits et par son initiative, il concourut puissamment à la formation du Zollverein, c’est-à-dire de l’association des douanes germaniques. Le tarif du Zollverein a été, dès l’origine, très restrictif ; mais aussi, en peu d’années, l’industrie allemande, pourvue d’un vaste marché qu’elle exploitait exclusivement, grandit dans des proportions merveilleuses, au point que les nations industrielles, — l’Angleterre, la France, la Belgique, — durent, sur les marchés lointains où la lutte était engagée à armes égales, compter avec elle. Ce fut par l’union des forces productives que l’Allemagne s’éleva à ce degré de prospérité. La Prusse, qui s’était placée à la tête du Zollverein, comprit que désormais il y avait intérêt à modifier les tarifs dans un sens libéral, de manière à attirer au sein de la confédération douanière le Hanovre et l’Oldenbourg. Le 7 septembre 1851, elle conclut avec ces deux états un traité de commerce en vertu duquel ceux-ci s’engageaient à entrer dans le Zollverein ; mais pour obtenir cette accession, le cabinet de Berlin s’était engagé, de son côté, à abaisser certaines taxes établies en faveur des manufactures. Les états du midi ne virent paysans inquiétude ces tendances nouvelles, et l’Autriche profita habilement de leurs dispositions pour tenter soit de former avec eux une confédération rivale, soit de se faire admettre elle-même dans le Zollverein reconstitué, où elle aurait contrebalancé l’influence de la Prusse. Ce n’est pas ici le lieu d’exposer les nombreux incidens de la lutte d’influence qui divisa les cabinets de Berlin et de Vienne. Pendant deux ans, toute la diplomatie allemande ne fut occupée que de questions de tarifs et de projets d’unions douanières. Enfin le différend se termina par la signature du traité austro-prussien (19 février 1853) et par la reconstitution du Zollverein (traité du 4 avril). Quels furent au point de vue de la législation économique, les résultats de tant de discussions ? D ? unepart, l’ancien Zollverein, pour obtenir, suivant les engagemens pris par la Prusse, l’accession de l’Oldenbourg et du Hanovre, dut abaisser ses tarifs ; d’autre part, l’Autriche, afin de mettre à exécution le traité du 19 février 1853 et de préparer dans un avenir prochain son entrée dans la confédération, se vit entraînée à supprimer une partie de ses prohibitions et à ramener ses taxes de douane au niveau de celles qui étaient perçues à l’entrée du Zollverein. Le régime de la protection, qui a imprimé un tel essor à l’industrie manufacturière de l’Allemagne, n’a nullement fait obstacle à ces rapprochemens considérables de peuples et d’intérêts. La reconstitution du Zollverein et le traité austro-prussien ne sauraient être évidemment attribués à l’influence du libre-échange. Il n’y a ni en Prusse ni en Autriche aucun homme d’état qui s’inspire des idées de M. Cobden ; M. de Bruck, qui a introduit tant de changemens dans l’organisation politique et administrative de l’Autriche, et que l’on peut considérer