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libérale un accueil presque enthousiaste, et partout il obtint un succès de curiosité et d’estime qui était bien dû à un homme dont le nom venait d’acquérir en Angleterre une célébrité si éclatante. Il se livra naturellement à une propagande fort active ; il vanta en tous pays l’excellence des principes du libre-échange, annonça aux gouvernemens comme aux peuples la bonne nouvelle, et leur conseilla de sortir au plus tôt de l’ornière où les retenait le régime de la protection. Toutefois les gouvernemens se montrèrent en général très réservés sur ce point ; ils prodiguèrent à l’illustre chef de la ligue les complimens et les démonstrations de politesse ; ils lui donnèrent à l’envi les assurances de leur considération la plus distinguée ; quant à ses conseils, ils les suivirent peu. Si l’on étudie attentivement l’influence exercée sur le continent par la réforme anglaise, on voit que deux nations seulement, la Sardaigne et la Hollande, se convertirent à la pratique du libre-échange. La Sardaigne, sous l’impulsion du comte Cavour, révisa sa législation commerciale et maritime ; la Hollande était depuis longtemps acquise aux principes libéraux : il est juste toutefois de reconnaître que le rappel de l’acte de navigation en Angleterre la détermina à modifier plus promptement les mesures de protection qu’elle avait conservées jusqu’alors en faveur de sa marine marchande. Quant aux autres états de l’Europe, ils ne jugèrent pas qu’il leur convînt encore de céder aux suggestions du libre-échange britannique. À cet égard, les espérances de M. Cobden et de ses partisans furent déçues. Les réformes économiques qui ont été introduites depuis peu d’années dans la législation des principaux pays, et qui furent très nombreuses, comme on le verra tout à l’heure, procèdent non pas d’une pensée de libre-échange, mais de l’application rationnelle des principes de protection. On y retrouve également l’influence des événemens politiques qui ont suivi le redoutable mouvement de 1848.

Il y a des nations pour lesquelles le libre-échange est le système naturel. Quand un pays n’a ni industrie ni marine, et qu’il ne possède pas en lui-même les ressources nécessaires pour créer et développer ces deux élémens de prospérité, il est évident qu’il ne saurait faire utilement emploi de la protection. De même, quand un pays sent que son industrie et sa marine peuvent lutter avantageusement contre la concurrence étrangère, il n’a aucun intérêt à conserver des tarifs élevés. En un mot, là où il n’y a rien à protéger, la protection perd ses droits. Nous avons expliqué comment l’Angleterre en était venue à la pratique définitive du libre-échange. Si l’on examine la situation des villes anséatiques de la Hollande, de la Suisse, du Piémont, on reconnaît que dans ces divers états, par suite de conditions économiques ou purement géographiques, l’application du libre-échange n’est qu’un fait normal contre lequel ne proteste aucun intérêt sérieux. Mais quand on voit les gouvernemens de grands états, tels que la France, l’Allemagne, l’Autriche, la Russie, l’Espagne, l’Union américaine, résister aux séductions de d’expérience anglaise et ne point se départir des anciens principes, il est permis de douter que le régime protecteur soit, dans certaines conditions, aussi inconciliable qu’on l’assure avec la raison et l’équité. Est-ce à dire d’ailleurs que ce régime soit condamné à l’immobilité, qu’il prescrive à tout jamais et pour tous les produits soit les prohibitions, soit les taxes excessives, et qu’il