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n’était donc point partisan du libre-échange, il doit être au contraire rangé parmi les défenseurs du régime de protection ; seulement, à la différence de l’ancienne école, qui ne concevait pas que la protection pût être distincte de la prohibition absolue, il professait que le système jusqu’alors pratiqué devait être considéré comme un moyen, non comme un but, et qu’il convenait de le modérer successivement dans l’application et même de le supprimer le jour où il ne serait plus nécessaire.

Sir Robert Peel, lorsqu’il proposa, en 1842, de poursuivre l’œuvre de Huskisson, tint à peu près le même langage. Il se garda bien de faire devant la chambre des communes, qui certainement ne l’eût pas écouté, un cours d’économie politique : il s’appliqua à convaincre les industriels, non pas que la protection dont ils avaient joui jusqu’alors avait été un non-sens, une iniquité, un odieux monopole, mais que cette protection n’avait plus de raison d’être, et qu’il était indispensable, dans l’intérêt même de l’industrie manufacturière, d’y renoncer. Si l’on se reporte aux discours que l’illustre ministre prononça à cette époque, on voit avec quel soin il accumulait les démonstrations pratiques, notamment la comparaison du prix de revient en Angleterre avec les prix de revient hors du royaume-uni, et combien il évitait de s’engager dans les profondeurs de la théorie. Ne se souvient-on plus d’ailleurs que la plupart des réformes de sir Robert Peel avaient pour but d’accroître le revenu fiscal en développant la consommation par de larges dégrèvemens de tarifs ? L’abolition des droits sur les céréales, effectuée en 1846, présente un caractère différent ; ce fut bien la réellement une révolution à la fois politique et économique. L’aristocratie possédait la plus grande partie du sol, et elle prélevait sur la masse des consommateurs une prime évidemment exagérée, grâce au mécanisme des tarifs de douane, qui ne laissaient entrer les céréales du dehors qu’aux époques d’extrême cherté. En demandant l’abolition de cette prime, on était sûr d’avoir pour soi les sympathies populaires. Néanmoins le triomphe de la réforme eût été très incertain, et l’aristocratie territoriale aurait eu peut-être raison de ses adversaires, si ceux-ci n’avaient trouvé un solide point d’appui dans l’intérêt manufacturier. L’industrie, après de longues résistances, venait de consentir à l’abaissement des tarifs qui la protégeaient ; elle réclamait à son tour les moyens de produire au plus bas prix, et elle était fondée à exiger que le taux des salaires cessât d’être influencé par la hausse artificielle du prix des céréales. En conséquence, on pourrait dire que la campagne entreprise contre le tarif des céréales fut inspirée par une pensée de protection manufacturière. La grande habileté de sir Robert Peel fut de reconnaître que l’intérêt industriel était devenu dans le pays plus puissant que l’intérêt agricole, que, par l’influence politique comme par le nombre ; la population des villes l’emportait sur celle des campagnes, et que l’aristocratie devait fatalement, dans un délai plus ou moins long, être battue par la ligue. Le jour où il fut convaincu que le conflit ne pouvait avoir d’autre issue, il prit hardiment son parti, et l’ancien protectioniste, l’ancien défenseur du parti tory et des privilèges aristocratiques n’hésita plus à se montrer plus libéral que les anciens libéraux, dont il avait si longtemps, dans cette même chambre des communes, soit comme ministre, soit comme orateur de l’opposition, combattu les doctrines. On a