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sur le cuivre des modèles qui viennent d’eux-mêmes se décalquer sur le papier ? Quelle copie préférable à cette empreinte, quelle main plus sûre que cette infaillible pratique ? L’erreur semble assez générale pour qu’il importe de préciser en quelques mots le rôle de la photographie. Non, la gravure n’a trouvé là ni un mode d’exécution supérieur, ni même un équivalent ; non, les graveurs n’en seront pas réduits à la condition des maîtres de poste, dont les chemins de fer ont ruiné l’industrie. En fait d’art, c’est peu d’arriver vite, l’essentiel est d’arriver à point, sans avoir trop dépensé en route de ses forces, et de ses ressources. La photographie, qui ne sait ni calculer ni attendre, laisse pressentir le dénûment sous la prodigalité et l’irréflexion sous un faux air de patience. Elle peut, il est vrai, étaler un luxe d’ornemens, ou plutôt de menus accessoires, que la gravure ne réussira jamais à emprunter ; mais il ne faut rien chercher au-delà de ces surprenantes minuties, plus propres à contenter une sorte de curiosité bourgeoise qu’à intéresser l’art et ses progrès. Rien ne vient coordonner tous ces détails, rien n’accuse la réserve, le choix, le sentiment du mieux. Le bien ici n’est que l’expression textuelle de la réalité, et franchement cela ne saurait suffire. L’art a quelque chose de plus beau et de meilleur à nous enseigner. Il ne nous montre pas seulement l’extérieur des objets, il donne à la forme une signification particulière, il nous initie à certains secrets que nous n’aurions pas su démêler sans lui, et, — pour ne parler que de la gravure, — il s’approprie, il achève de préciser le fond de la pensée d’autrui, au lieu d’en copier platement les surfaces. Ce sont là des vérités élémentaires sans doute, mais s’il est permis de les rappeler, n’est-ce pas surtout au moment où bon nombre de gens les oublient, et la banalité de pareilles redites ne trouve-t-elle pas son excuse dans la faveur qu’usurpent des principes et une pratique diamétralement contraires ?

La photographie en effet compte aujourd’hui assez de partisans, et de partisans enthousiastes, pour qu’il ne semble pas superflu ni hors de propos de défendre la cause contraire. On ne considérait, il y a quelques années, la photographie que comme l’héritière présomptive de la gravure ; aujourd’hui la succession est ouverte, et tandis que le burin reste trop souvent oisif, les appareils fonctionnent avec une force de production croissante, avec un redoublement d’activité que la mode encourage, et qui n’a plus seulement pour témoins les murs des laboratoires. Dans beaucoup de salons, les prodiges de la photographie ne sont guère moins en honneur que ne l’étaient hier les miracles accomplis par les tables tournantes. Chacun veut mettre la main à l’opération, chacun veut, tant bien que mal, obtenir son négatif et tirer son épreuve, — le tout, non