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puissent séduire fort sérieusement personne : images ressemblantes si l’on veut, mais d’une ressemblance figée ; images vulgaires et mortes, bonnes tout au plus à être consultées à titre de renseignemens sur la lettre même de la nature. Les épreuves d’après le modèle vivant peuvent avoir quelquefois cette sorte d’utilité, et servir aux peintres de genre ou de portrait non de types absolus, mais d’élémens qu’il leur appartient d’ailleurs de modifier. Elles seraient certes d’un pauvre secours pour les peintres qui recherchent l’élévation et la pureté du style, l’expression morale, le beau enfin. Leurs aspirations ne rencontreraient la qu’injure formelle et le plus flagrant démenti.

La photographie, si inférieure à l’art lorsqu’elle représente directement la vie, est-elle mieux en mesure de lutter avec lui là où cette représentation est indirecte, et faut-il confondre dans une même réprobation la nature telle qu’elle nous la montre et les œuvres du pinceau telles qu’elle les transcrit ? On ne saurait sans injustice le penser ni le dire. L’emploi du procédé peut avoir, dans le second cas, une véritable opportunité, et si défectueuses que soient, à plusieurs égards, les copies de tableaux exécutées ainsi il leur reste au moins ce mérite, qu’elles procèdent de modèles où les combinaisons de la pensée humaine ont remplacé l’occasion fortuite. L’ordonnance d’une composition, le fond des intentions qu’a eues le peintre et jusqu’à un certain point le caractère de son style venant pour ainsi dire se déposer sur l’épreuve, celle-ci n’est plus, comme tout à l’heure, le miroir du fait grossier ; elle reflète une nature déjà épurée, choisie par la main d’un artiste, et s’il s’agit de l’ouvrage de quelque grand maître, elle pourra servir de loin, mais non sans utilité toutefois, la cause de l’art même et du goût. Multipliés par la photographie, les chefs-d’œuvre de la peinture deviendront plus aisément populaires, et peut-être s’ensuivra-t-il quelque progrès dans les habitudes générales de l’opinion. Malheureusement à ce progrès possible se mêle un danger aussi probable pour le moins. En s’accoutumant à ne voir que ces images niaisement fidèles, on courra risque de se méprendre non sur le caractère des tableaux, mais sur le caractère des moyens employés pour les reproduire, moyens tout matériels, il faut le répéter, et n’aboutissant par conséquent qu’à une représentation incomplète. Au lieu d’accepter avec réserve, et seulement à titre de document, ce qui n’a et ne peut avoir qu’une vérité chétive et bornée, on ne demandera rien de plus que cette vérité mécanique. L’exactitude purement littérale tiendra lieu de tout le reste, et dès lors on oubliera pour la photographie, qui contrefait l’apparence des tableaux, la gravure, à qui seule appartiennent le droit et le pouvoir d’en donner une imitation achevée.