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Telle forme eût été autrement ressentie, tel détail simplifié ou exprimé avec plus de délicatesse. — Quelque chose d’analogue à ces modifications ou à ces sacrifices doit se passer dans un travail de reproduction par le burin. Il ne suffit pas que le graveur s’attache à rendre de point en point tout ce qu’il voit dans son modèle : il est nécessaire qu’il juge et détermine l’importance relative de chaque objet, qu’il prenne certains partis pour simuler un coloris varié avec deux tons seulement et pour conserver au dessin soit sa grâce, soit sa fierté, en opérant sur un champ très restreint, où tout détail, s’il n’est atténué, devient aisément hors de propos et démesure. On comprend dès-lors à quel point le discernement et l’intelligence pittoresque sont de mise dans un genre de travail qui, tout en reflétant la pensée d’autrui, doit avoir aussi son caractère particulier et sa physionomie distinctive. L’imagination même ne saurait être exclue du domaine de la gravure, et l’on pourrait dire sans exagération qu’il n’est guère de graveur éminent dans aucun pays ni à aucune époque dont les œuvres n’attestent une véritable puissance d’invention. Nous ne parlons pas de ces maîtres doublement privilégiés qui, comme Albert Durer, Lucas de Leyde ou Rembrandt, ont gravé leurs propres compositions et marqué indifféremment du sceau de leur génie tantôt le cuivre, tantôt la toile ; nous parlons de ceux dont la tâche consiste dans l’imitation d’un modèle qu’ils n’ont pas tracé. Lorsque Marc-Antoine trouve le secret de formuler pleinement les intentions à demi indiquées par le crayon de Raphaël, lorsque Jean Morin et Gérard Audran, enrichissant de leur propre fonde la pensée de Champagne ou de Lebrun, transforment en chefs-d’œuvre des œuvres imparfaites ou quelquefois décidément faibles, ne faut-il voir que des témoignages d’habileté matérielle dans ces traductions si heureusement mensongères ? Suffirait-il pour traduire ainsi d’avoir le coup d’œil juste et la main exercée, et n’est-ce pas plutôt faire preuve d’imagination que de deviner si bien le génie ou d’amener à ce point les œuvres incomplètes du talent ?

La gravure a donc une double tâche à remplir. Elle doit à la fois copier et commenter la peinture, sous peine d’abdiquer ses privilèges et de se dérober aux conditions de l’art. La photographie au contraire, ne procédant que du fait, commence et finit avec lui. Elle l’accepte tel qu’il se présente, se l’approprie sans contrôle, sans développement ni restriction d’aucune sorte ; elle ne peut rien au-delà de cette fidélité aveugle. En dehors de cette assimilation à outrance, elle n’existe pas. De là l’expression négative, l’aspect inerte de ses produits d’après les objets que la vie anime ; de là ces portraits sans physionomie et ces tristes, effigies du corps humain qui suffiraient pour dégoûter du réalisme, si tant est que le réalisme et ses œuvres