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photographiques, que l’on ait recours à la glace, au papier ou au métal, ces opérations, matériellement différentes, ne s’en accomplissent pas moins toutes d’elles-mêmes et indépendamment, pour ainsi dire, de la volonté de l’opérateur. Il y a place pour l’habileté scientifique de celui-ci, pour la sagacité avec laquelle il usera de tel agent chimique ; il n’y a pas place pour son sentiment en tant qu’artiste, puisqu’il ne lui appartient pas d’interpréter ni de modifier en quoi que ce soit l’aspect des modèles donnés. Tout se passe à côté de lui et en dehors de lui, dans une sphère d’action purement mécanique, avec une exactitude certaine, mais inintelligente. C’est là un fait qu’il importe de rappeler avant tout, et qui, une fois bien constaté, nous expliquera les imperfections nécessaires et les conditions essentiellement étroites de la photographie.

Les conditions de la gravure sont infiniment plus larges. La gravure est un art, précisément parce qu’elle permet, qu’elle exige même la participation de la pensée et du goût à un travail de reproduction. Soumission sincère à l’autorité du modèle, voilà sans doute la première loi de ce travail ; mais l’imitation sera insuffisante, si elle garde seulement le caractère d’une copie littérale. Pour qu’une estampe rende à souhait le tableau d’après lequel elle a été faite, il faut que le graveur ait su décomposer les intentions du peintre, les proportionner aux moyens dont il dispose, et remplacer par des équivalens propres à son art les termes mêmes du texte original. Il faut, en un mot, qu’il se soit assimilé l’esprit de son modèle, mais que jusqu’à un certain point il en ait varié la lettre. Sans cela, il aura, par excès de scrupule et par une docilité mal entendue, altéré à la fois la vérité qu’il prétendait respecter et le style dont il avait mission de traduire les formes. Un exemple emprunté aux œuvres d’un autre art pourra rendre sensible cette différence entre la transcription matérielle et la copie par voie d’interprétation. Les procédés actuels pour la réduction des statues et des bas-reliefs donnent, on le sait, des résultats mathématiquement exacts. D’où vient pourtant que ces répétitions, si fidèles en réalité, ne semblent pas avoir à beaucoup près la même beauté que les morceaux originaux ? C’est qu’elles formulent une ressemblance servile au lieu d’une image en correspondance avec le type choisi. Le changement de proportion, la différence des matières nécessitaient quelques variantes en dehors de l’action d’une machine, et qui eussent réclamé la main intelligente d’un artiste. Croit-on que le sculpteur de la Vénus de Milo ou le sculpteur du Moïse eussent traité leurs ouvrages absolument de la même façon, si ces ouvrages, au lieu de garder leurs proportions colossales, se fussent réduits à ces proportions de statuettes qu’on leur donne aujourd’hui, et si le bronze eût dû être employé au lieu du marbre ?