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puis, prenant son essor vers le dogme, la prophétesse soutint en thèse générale que la sanctification n’est pas un épreuve de la justification. Un écrit du temps, attribué à un ministre, se plaint, avec une amertume parfois comique, de ces nouveautés dans l’église. « Quand elle avait lu un sermon, dit-il, elle y ajoutait ses commentaires, énonçait ses propres opinions, détournait le sens de l’Écriture selon ses vues ; nous n’étions plus, nous, que des prêtres de Baal, des agens du pape, des scribes, des pharisiens, des ennemis du Christ. Au prêche, dès que notre sermon était fini, vous eussiez vu une demi-douzaine de pistolets déchargés sur la face du prédicateur ; j’entends par la une demi-douzaine d’objections tirées à bout portant par les opinionistes contre la doctrine enseignée, si elle ne s’accordait pas avec leurs nouvelles imaginations. » Ce qu’il y avait de pis, c’est que mistress Hutchinson voyait grossir tous les jours le nombre de ses partisans ; des magistrats, des propriétaires, des savans, des législateurs, des officiers, des hommes distingués par leur piété et leur sagesse se déclaraient pour elle. On n’aurait trouvé ni dans les tribunaux ni dans l’église de juges pour la condamner ; c’est l’auteur même que nous venons de citer qui l’affirme, sans doute avec quelque exagération. Henri Vane lui-même, alors gouverneur du Massachusetts, et depuis si fameux en Angleterre dans le parlement qui condamna Charles Ier, soutenait cette femme. Toute la colonie fut troublée par cette querelle. Le parti des ministres réunit tous ses efforts aux élections suivantes, et Vane ne fut pas réélu comme gouverneur. Cependant on réussit à le faire nommer membre de l’assemblée législative, mais celle-ci annula l’élection. Dès le lendemain il fut élu de nouveau : c’était une révolution. Enfin les ministres l’emportèrent ; la prophétesse fut chassée. Elle partit avec un assez grand nombre de sectateurs lassés d’un joug insupportable, et s’en alla, recommandée aux sauvages par Roger Williams, fonder une nouvelle colonie dans une île qu’un chef indien lui céda, et qui fut Rhode-Island ; mais les ministres de Boston ne souffrirent pas que l’hérésie prospérât si près d’eux : ils découvrirent qu’elle était sorcière, crime capital, et menacèrent de la traîner devant les tribunaux qu’ils dominaient. Forcée à une nouvelle fuite dans le désert, elle y périt sous les coups des sauvages[1].

Ainsi les puritains du Massachusetts expulsaient des essaims d’hérétiques ; en même temps ils fermaient leurs frontières à ceux du dehors. Après l’affaire d’Anne Hutchinson, en 1639, des latitudinaires tentèrent de fonder une église à Weymouth : ils y admettaient

  1. Voyez, sur l’affaire d’Anne Hutchinson, la Vie de sir Henry Vane, par Ch. Wentworth Upham, dans la Biographical library de Sparks.