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d’un côté, la fondation d’un grand nombre de sociétés sur le principe de la commandite de l’autre, ont donné naissance à une propriété très considérable par le chiffre des valeurs qu’elle représente, par les transactions auxquelles elle donne lieu et par les caractères qui y sont attachés. Les rentes sur l’état, en y ajoutant les trois emprunts nécessités par la guerre d’Orient, forment un capital nominal de près de 9 milliards ; les valeurs de chemins de fer et des grandes sociétés anonymes, estimées aux cours actuels, représentent un capital de plus de 6 milliards. On peut donc évaluer à environ 15 milliards le capital fixe placé dans les emprunts publics et dans la commandite des grandes compagnies.

Quoique représentant le placement d’un capital fixe, cette propriété jouit dans sa forme de toutes les conditions qui rendent facile et prompte la transmission d’une propriété mobilière. Les rentes publiques, les actions et obligations de chemins de fer sont représentées par des titres qui mettent les parts de cette propriété, par leur extrême division, à la portée des plus petites fortunes. Ainsi le titre de rentes peut se diviser jusqu’en coupures de 10 francs de rente représentant un capital d’un peu plus de 200 francs. Le capital des compagnies est généralement divisé en actions de 500 francs, et la plupart de leurs obligations, au taux d’émission, représentent un peu moins de 300 francs. L’extrême division des titres de ce genre de propriété n’est pas encore la condition la plus favorable à sa transmissibilité. Autrefois les titres de rentes et les actions étaient nominatifs ; leur transmission entraînait des formalités de transfert, de constatations d’identité, de légalisations de signatures. Depuis 1831, il a été créé des titres de rente au porteur, et l’on a pu échanger contre ceux-ci les titres nominatifs. Depuis lors également les compagnies ont émis leurs actions au porteur. Extrêmement divisées, c’est-à-dire à la portée des plus modestes ressources ; anonymes, c’est-à-dire pouvant se transmettre, s’échanger, circuler sans frais, sans perte de temps, sans formalités, par la simple tradition du titre, voilà le caractère des valeurs créées par les emprunts publics et la commandite. À l’aide des petites coupures, l’état et la commandite ont pu rallier et recueillir jusqu’aux plus minimes fractions de ces épargnes, dont l’accumulation vient s’ajouter sans cesse au capital fixe du pays. Attirées par son caractère anonyme, les petites bourses, comme les plus grands capitaux, sont accourus vers une propriété qu’il est si facile d’acquérir et de vendre, où l’on entre et d’où l’on sort si aisément. C’est ainsi que cette immense propriété, formée par les emprunts publics et la commandite des grandes compagnies, s’est répandue, vulgarisée et popularisée au degré que nous voyons aujourd’hui.

La popularité de ce genre de propriété est assurément un fait